C’est du grand jeu de Wéiqí (圍棋, version chinoise du « Go »), auquel on a assisté au 3ème Plenum du PCC (09-12/11). À ce jeu, la victoire s’acquiert au final, en paralysant l’adversaire.
Lors du meeting des 376 édiles du Comité Central, les chances de Xi Jinping et de son Premier ministre Li Keqiang, d’imposer leurs réformes de l’Etat semblaient faibles face aux vieux conservateurs majoritaires au Comité Permanent (l’organe suprême), aux militaires, à la police et aux consortia publics – tous ligués contre le changement. Peu avant la clôture, la SASAC, tutelle des consortia, démentait dans la presse, la nouvelle d’une ouverture prochaine de 15% des parts des grands groupes d’Etat au capital privé.
Et de fait, le communiqué final confirmait la priorité des consortia dans l’économie. L’espoir de Li de grignoter leurs monopoles et leur accès prioritaire au crédit, était déçu. De même, les promesses faites durant l’été, d’ouverture en tous secteurs, prenaient des rides, reformulées en termes vagues et non contraignants, telle celle d’accorder au marché un « rôle décisif » d’ici 2020. Le texte ne faisait plus que suggérer les ravalements de façade attendus en matière de taxation, santé, éducation, propriété paysanne, et de taux d’intérêt. Les réformes judiciaire et politique n’étaient citées que pour mémoire, et les questions du hukou et de la dette des provinces étaient purement oubliées.
En bref, Xi et Li semblaient avoir laissé leurs adversaires serrer la réforme dans un corset technocratique – comme depuis 20 ans. Le flou du texte trahissait l’absence de consensus au sommet. Même les slogans d’autocritique et de frugalité manquaient à l’appel ! Les observateurs désignaient la cause de cette « défaite » : la légère reprise de l’économie, qui permet aux conservateurs d’attendre au chaud. On ne change pas une politique qui gagne…
Nonobstant, quelques phrases lapidaires en fin de communiqué, viennent changer toute la perspective, en annonçant la naissance de 2 organes. Le Conseil National de Sécurité (CNS) et l’Equipe Centrale d’Approfondissement des Réformes forment une paire symétrique et complémentaire, l’une touchant à l’armée, la police et la diplomatie, l’autre à l’économie. Toutes deux doivent coordonner et déréguler les politiques, dépassant les rivalités sectorielles. Surtout, elles donnent les rênes à Xi Jinping, qui les dirigera directement, en contournant les organes en place : NDRC, Commission Militaire Centrale et surtout, le Comité Permanent.
– Le CNS apparaît bâti sur le modèle de la NSA (l’agence de sécurité des Etats-Unis, qui restent le modèle en Chine). Il doit coordonner armée, police, diplomatie, et tout organe se mêlant de sécurité et d’affaires étrangères. Il s’agira ainsi de repenser, dans l’intérêt à long terme du pays, des politiques telles celles d’expansion vers les mers du Sud, vers le Proche-Orient ou en Afrique.
Détail essentiel : si le CNS doit avoir Xi pour Président, son patron technique pressenti est Wang Huning , proche de Xi, un politologue de formation, francophone et anglophone, bon connaisseur des USA. Ainsi pour la première fois dans l’histoire de Chine socialiste, la diplomatie (et la conduite militaire) reviendra aux mains de professionnels plutôt que d’idéologues et militaires, comme jusqu’à présent.
– Sur l’Equipe Centrale des Réformes économiques et sociales, on sait déjà qu’elle sera présidée par Li Keqiang et dirigée par Wang Yang, l’ex-secrétaire de Canton, réformiste notoire, et qu’elle supplantera la NDRC (laquelle n’est pas spécialement connue pour ses audaces en matière d’innovation sociale). C’est déjà beaucoup, et si elle a le pouvoir décisionnel, bien des réformes sont à espérer.
Avec de tels outils, un tournant de gouvernance devient possible. Comme au jeu de Wéiqí, les adversaires au Plenum ont été paralysés. Ou encore, pour paraphraser une expression française, Xi a « mis les bœufs avant la charrue » : plutôt que d’aller guerroyer sur des dossiers litigieux, avec une majorité au mieux incertaine, il mise sur la restauration d’un exécutif fort, pour arracher le pays à la paralysie décisionnelle et réformatrice qui le mine depuis 20 ans.
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Jean
18 novembre 2013 à 11:02C’est une bonne analyse. Je dirais même plus, c’est une bonne analyse!