Le 11 novembre, Chine et Europe étaient en fête. Tandis que l’Occident célébrait la fin de la 1ère guerre mondiale, la Chine, elle, fêtait ses célibataires. 25 ans plus tôt, la fête chinoise n’existait pas.
Dans les années ‘90, des étudiants l’avaient inventée pour rire, trouvant une similitude entre les 4 chiffres « un » de ce 11/11 avec des « branches mortes » (光棍, guānggùn), qui sont le symbole des vieux garçons et vieilles filles. Puis cette improbable fête prit son essor, suivie par des millions de personnes.
Durant ces 24h, on assista à des soldes titanesques des boutiques en ligne : jusqu’à 70% sur des milliers de produits d’appel. En 6 minutes 7 secondes, 1 milliard ¥ de transactions fut atteint. Une folie collective s’empara des jeunes qui rivalisèrent sur leurs smartphones, de commandes futiles, même non démarquées : « nous nous entrainions les uns les autres, se rappelle une étudiante, si nous ne le faisions pas, nous craignions de rater notre chance ».
Résultat : à son QG à Hangzhou, Alibaba (Taobao, Tmall…) a vu passer 402 millions de visiteurs virtuels, et encaissé 5,75 milliards $ (+83% par rapport au précédent record de 2012). Chez Tmall, pour le compte de 20.000 vendeurs en ligne, 2 milliards de dessous sont partis, et 1,6 milliard de soutien-gorge. Il faut préciser ici que 71% des acheteurs sont des femmes. La poste annonçait 323 millions de colis dans la semaine et Shentong (150.000 agents) a engagé 45.000 hommes et 4.000 véhicules pour la semaine . Les coursiers sont à la noce : ils travaillent double (100 colis/jour en moyenne), pour le double de salaire (6000¥).
Face à ce défi, le commerce traditionnel est divisé. Les uns acceptent de jouer le jeu, et s’associent au carnaval des soldes sur internet du 11/11. Les supermarchés du club xujiahui.com (Shanghai) déclarent avoir engrangé ce jour-là 30 fois plus que la moyenne, profitant de leur atout naturel : nombre de clients préfèrent voir et toucher le produit, puis l’emporter une fois payé. Mais d’autres chaines de distribution, préfèrent boycotter : anxieuses de ne pas brader leur image, ni devenir figurants passifs à la traîne du commerce en ligne.
De la sorte, ces soldes d’un jour confirment l’essor d’un commerce en ligne employant 2,2 millions d’actifs en 2012, et générant pour 1300 milliards de ¥ de chiffre d’affaires, soit +65%.
Mais revenons au célibat, prétexte de l’événement, mal considéré dans la société chinoise contemporaine. A tel point que certaines jeunes femmes louent sur Taobao des « fiancés » à présenter à les parents pour 500 à 8000 ¥ par jour (hors frais de déplacement). II est aussi mal vécu chez ces 32 millions de garçons, privés de compagne dès leur naissance par la pratique de l’avortement sélectif.
L’impression qui se dégage est celle d’une Chine n’ayant pas oublié sa misère d’hier, rêvant d’acquérir villas et voitures de luxe… Elle compte 180 millions de célibataires, qui investissent tout dans leur carrière, sans se donner le temps de trouver l’âme-sœur. Mais ils souffrent quand même d’un manque affectif. Aussi le 11/11 est un festival d’achats compulsifs pour compenser ce manque. Solution illusoire, mais tout le monde joue le jeu, étudiants, dirigeants, commerçants.
Maladroitement, la grande famille chinoise tente de réconcilier chez ses enfants, le besoin d’amour et le rêve de faire fortune.
Sommaire N° 37