Douze jours après l’attentat aux portes de la Cité Interdite, le 28 octobre, causant cinq morts et 38 blessés, le flou règne encore sur les détails de l’acte terroriste, mis à part l’identité des trois kamikazes Ouighours, Usmen Hesen (33 ans), son épouse et sa mère, natifs d’Yengi Aymaq dans le district d’Akto, à l’Ouest du Xinjiang.
Pour les autorités, le forfait est venu du MITO (Mouvement Islamique du Turkestan Oriental),groupuscule séparatiste qui milite pour un Turkestan Oriental. Sept conjurés (dont les trois Hesen) auraient convoyé le véhicule 4×4 explosé place Tiananmen. Ensemble, ils auraient fait trois visites de repérage. La police affirme qu’ils préparaient une guerre d’Intifada : les 5 complices encore en vie seraient sous les verrous.
D’autres sources cependant, ouvrent d’autres pistes : des voix proches du pouvoir, et des Ouighours sur Voice of America, croient qu’il s’agirait d’une vengeance familiale. Un fils cadet de Hesen serait décédé en 2009 en des circonstances troubles, dans un accident de moto avec un véhicule conduit par des Hans. Quatre ans durant, la famille aurait réclamé une enquête, en vain. Hesen et les siens auraient choisi la mort, sur ce site traditionnel, fort en symbole, pour forcer l’Etat à intervenir.
Une troisième version est donnée par Radio Free Asia (média financé par le congrès américain) : dans la mosquée de Yengi Aymaq, la police aurait démoli une partie qui venait d’être illégalement construite. Hesen avait payé l’essentiel de ce projet, avec 200.000¥. Selon RFA, le jour de la démolition, il aurait juré de se venger.
En tout état de cause, à quelques jours du Plenum, cette affaire aggravée peu après par l’autre attentat mortel à Taiyuan (cf édito), ne peut que plonger le régime dans l’embarras, exacerbé par l’attention visible des Etats-Unis sur cet incident. Pas par hasard, les deux versions « dissidentes » de l’attentat ont été recueillies et diffusées par VOA et RFA, radios financées par le gouvernement américain (voire la CIA), et quand Wall Street Journal envisage, comme source de l’attentat, l’inégalité des chances entre Hans et Ouighours, la presse chinoise perd son calme et l’accuse de « mentir ». Cette tension est le signe de la dualité du sentiment de la Chine face au géant américain, le voyant tantôt en allié stratégique, tantôt en rival.
Cinq jours après le drame de Tiananmen, Peng Yong, le général commandant la région militaire du Xinjiang, a été relevé de ses fonctions (02/11) : geste sanction, implicitement, mais aussi, pour les observateurs les mieux informés, l’expression d’un désir de changement. Depuis quelques mois, le bruit courait que Xi Jinping souhaitait confier la direction du Groupe central du Xinjiang (en charge de cette politique ethnique) au Président de la CCPPC, afin d’élargir et apaiser le débat sur le Xinjiang.
Hélas, l’attentat a tout changé : le fait que le régime l’attribue au MITO, est le signe d’un refus de réfléchir sur les limites de cette « tolérance zéro » pratiquée au Xinjiang depuis 20 ans.
Pourtant, un détail frappe : patron d’une petite chaîne de rôtisserie d’agneau, Hesen était un homme qui avait réussi. Il aurait pu devenir un allié du régime et modèle de succès d’intégration à la nation. Qu’il se retrouve à présent terroriste, ayant sacrifié sa vie et celle des siens, suggère un problème lourd. D’autant que quelques années plus tôt, Rebiya Kadeer, figure majeure de l’ethnie ouighoure, édile à la CCPPC et millionnaire, s’était de la même manière retrouvée dans l’opposition et en exil. Voici une évolution systémique, qui ne peut qu’interpeller une élite gouvernementale connue pour son pragmatisme.
Sommaire N° 36