Quand en mai
Tom Donilon, l’envoyé spécial d ’Obama vint à Pékin préparer avec Xi Jinping le prochain sommet sino-US, ce dernier lui présenta Liu He, jusqu’alors inconnu, et lui conseilla d’échanger avec cet homme « important pour lui ».De fait, ce cadre discret, ayant passé 30 ans de carrière dans le plus hautes sphères mais dans l’ombre, s’avéra un économiste brillant, à contre-courant des idées officielles au PCC : hostile au protectionnisme, militant pour l’accès de l’étranger à des domaines chasse gardée, services, finance, santé…
Né à Pékin en 1952 d’une haute famille, Liu a fréquenté l’école 101, pépinière de cadres, aux côtés de… Xi Jinping ! A 18 ans, il part soldat en Mongolie Intérieure – une manière de se protéger de la révolution culturelle.
En 1974, il se retrouve à Pékin « ouvrier-cadre » (un poste enviable!) dans une usine à haute technologie pour l’époque, celle municipale de télégraphie sans fil. A 26 ans, il intègre l’excellente université Renmin et obtient son doctorat à 34 ans. En 1987, il entre au Conseil d’Etat comme chercheur au Centre de recherche en développement qui planifie la politique industrielle long terme. En 1988, il est vice-directeur au département « recherche » à la NDRC (National Development and Reform Commission).
Il est dès lors sur les rails : comme beaucoup d’espoirs du régime, on l’envoie étudier en 1991 aux USA, à Seton Hall (New Jersey), puis à Harvard.
Après son retour, titulaire d’un nouveau master, il intègre en 1998 le Groupe Central des Affaires financières et économiques, dont il devient en 2003 n°2, à 51 ans. Cette institution secrète, cerveau de la réforme en Chine, est un club de réflexion sur tout sujet (du sort des migrants au prix de l’énergie), dont les rapports sont lus par, et inspirent le Conseil des ministres, le Bureau Politique et le Comité Permanent. Il recrute parmi des banquiers, industriels et hauts cadres les plus influents (Wen Jiabao, Wang Qishan, Zhou Xiaochuan) : c’est parmi eux que Liu puise aujourd’hui nombre de ses alliés.
Son bilan de carrière en impose : Liu a contribué à l’élaboration de 4 plans quinquennaux, et gardé la confiance de trois Présidents successifs, Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping.
En 2008, il est l’auteur du Grand Plan anti-crise qui déversa 600 milliards de $ sur l’économie et sortit la Chine de la récession avant les autres. Un autre succès est la création d’un réseau d’infrastructure admirable (2000 hôpitaux, la plus longue ligne de TGV au monde, Pékin-Canton, des milliers d’écoles…).
Au passif toutefois, il n’a pu empêcher que la manne financière du Grand Plan revienne aux seuls consortia publics, oubliant le privé et les PME. De ce fait, la dette de l’Etat a triplé à peut-être 20 trillions ¥ en 5 ans, notamment à cause de projets somptuaires et non rentables.
Mais ce dérapage lui permet aujourd’hui de rebondir, en formulant les dernières campagnes-choc de Xi Jinping : la corruption et la refonte de la taxation.
Liu He fut aussi propulsé à la tête de nombreuses institutions de recherche industrielle. Il entre au Comité Central en novembre 2012, et n°2 de la NDRC en mars 2013, en charge de l’élaboration du document de travail des réformes du 3ème Plenum.
Au plan personnel, cet homme pragmatique recherche toujours la juste mesure, entre l’hyper-libéralisme et l’économie planifiée. En ouvrant les clubs de réflexion aux professionnels de haut niveau, il a peut-être inventé la méthode du régime depuis 1990 pour faire reculer le maoïsme dans les esprits : petit-à-petit, à force de transparence et de franc parler. À la mode socratique, pour porter à réfléchir, il aime répondre à une question par une autre question. Il ne craint pas de rencontrer des étrangers seul à seul – il se sait soutenu par le pouvoir suprême.
Détail parlant, à 62 ans, il est un des rares à ne pas se teindre les cheveux d’un noir de jais, et à assumer ses tempes grisonnantes : il sait que son analyse, souvent imbattable, marquera plus ses interlocuteurs que son apparence.
Sommaire N° 34-35