Editorial : La zone franche, cheval de Troie de Li Keqiang

« Notre économie gardera sa croissance soutenue et sa politique de réforme », publiait Li Keqiang, le 1er ministre, au Financial Times (du jamais vu !). À 3 jours du Forum de Davos (12/09, Dalian), c’était un signal fort aux leaders politiques et industriels du monde. Li voulait raviver la confiance, suite à 6 mois plutôt secs : les piliers de sa grande réforme annoncée en mars (le plan d’urbanisation, la réforme de la taxation) tardent à sortir, minés par des querelles au sein de l’administration. En même temps se déploient les plus dures restrictions sur l’internet depuis des années, et sur les visas, nourrissant ainsi les doutes sur la sincérité de l’équipe au pouvoir sur sa politique d’ouverture. Mais Li insiste : forgée par Xi Jinping et lui-même, la réforme de l’Etat sera bien au rendez-vous du 3ème Plenum de novembre. Un des outils fondateurs de cette réforme, arrivera d’ailleurs bien avant : la « zone franche commerciale » (ZFC) de Shanghai prendra vie dès le 27/09. 

Issue de la fusion des zones industrielles de Pudong (aéroport), Waigaojiao (port) et Yangshan (port en eaux profondes), cet espace de 29 km² voit de puissantes fées veiller sur sa naissance. Son patron Ai Baojun, le vice-maire (ex-PDG de Baosteel, premières aciéries de Chine) sera épaulé par un vice-1er ministre, afin d’obtenir ses droits nouveaux, à vitesse de l’éclair. 

19 métiers des services doivent être déréglementés, à condition d’opérer depuis son sol. La plupart des dérégulations profiteront à l’étranger, en JV ou en pleine propriété selon le cas : banque (toutes opérations, toutes zones), assurance-maladie, leasing (avions, bateaux), armement maritime, services via télécom voire juridiques (« mécanismes exploratoires »), agences d’investigation de crédit et de voyage vers l’étranger, courtage en bourse, ingénierie (design), arts scéniques, show-biz, écoles et centres de formation, hôpitaux. 

La plupart de ces règles du jeu seront là d’ici décembre, dont le dégrèvement fiscal, vivement attendu. C’est crucial, pour convaincre les capitaux étrangers de revenir. En 2012, les investissement directs à l’étranger ont chuté de 3,7% à 111,7 milliards $ – c’était du jamais vu. Même s’ils ont repris au 1er semestre (62 milliards de $, +4,9%), l’alerte reste sévère. Incessamment, l’Assemblée Nationale Populaire doit recevoir de Li un projet de suspension de lois financières, applicable aux ZFC – devraient y figurer, complètes, la libéralisation des taux d’intérêts et la convertibilité du yuan. 

À cette ZFC, on voit ainsi se profiler deux rôles: Œ réformer en éprouvette, pour ne pas fâcher les vieux conservateurs ; introduire en un espace confiné l’Etat de droit, sous prétexte de régulation économique. Or, l’Etat de droit (la primauté de la loi) est l’atout n°1 de Hong Kong. Par ce nouvel outil, et son immense marché à sa porte (le plus vibrant du monde), Shanghai veut détrôner ce rival comme roi de la finance asiatique

Pas par hasard, StanChart et HSBC, piliers de la banque du « rocher », seront les premiers à venir s’installer. Avec leur savoir-faire, ils gagneront sur des rivaux locaux soudain vulnérables, privés de leur carapace étatique. 

Evidemment, cette ZFC suscite des inquiétudes. À Canton et à HK, on lit des avertissements acides, du genre « pas le moment de se reposer sur nos lauriers ». La province de Canton prépare sa propre ZFC, 35 fois plus grande que celle de Shanghai (1000km²) par la fusion des zones de Shenzhen, Macao et Canton. Le champion du projet est Hu Chunhua, 50 ans, Secrétaire provincial, jeune espoir du régime et pressenti pour succéder à Xi Jinping en 2022. Le feu vert de Pékin est espéré dès le printemps prochain. Sa marque de fabrique sera une intégration accrue avec HK et Macao, attirés par des règles du jeu encore plus permissives, inspirées de leurs propres institutions. Tel l’ICAC, peut-être (cet organe hongkongais à grand succès dans la lutte anti-corruption), ou la suppression des « comités judiciaires » du Parti dans les tribunaux, au moins pour toute litige économique… Ce serait à la fois un plus (une différence qualitative fondamentale), et à vrai dire le seul moyen de faire fonctionner une telle bulle de démocratie économique, dans un système toujours fondamentalement autoritaire.

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