En 1997 à Kunming, district de Panlong (Yunnan), Yang Shunming tenait une gargote pour le compte de l’amante de Ren Yuefeng tandis qu’il passait ses journées à y apporter des caisses, et les distribuaient aux clients du restaurant. Il fallut 5 mois au jeune gérant pour deviner qu’il s’agissait de cigarettes contrefaites. Les clients eux, venaient plus pour les fausses Marlboro que pour le bouiboui, plaque tournante d’un trafic de contrebande.
Shunming angoissait et s’en ouvrit à son frère aîné Yang Shunxiang, qui lui conseilla de déguerpir toute affaire cessante, et promit de venir avec lui négocier son départ avec Ren…
C’était malheureusement oublier un incident fort dangereux. Deux mois plus tôt Ren, pour mettre à Shunming un fil à la patte, l’avait accusé d’avoir volé 6000¥ dans la caisse. Pour éviter la prison, Shunming devait le rembourser chaque mois par ponction sur son salaire.
Aussi, quand les deux frères présentèrent à Ren la démission de Shunming, il les accusa de vol : s’il voulait partir, ce seraient 30.000¥ qu’il leur faudrait allonger, en préjudice. Et là, Shunxiang fit une erreur fatale : collant deux cartouches de « pagode rouge » sous le bras d’un Ren écumant de rage, il le planta là, emmenant son benjamin.
Deux heures après, un Ren tout miel appela l’aîné, proposant de clore le litige : contre leur silence sur le trafic, Ren verserait le salaire en retard et passerait l’éponge sur le trou de caisse. Soulagé, Shunxiang accepta. Mais arrivé au rendez-vous sur la colline voisine, il eut juste le temps de réaliser qu’il s’agissait d’un guet-apens, avant de mourir sous les gourdins de trois malandrins…
Tout de suite, réalisant la gravité de son acte, Ren disparut. Fou de douleur, Shunming jura de le rattraper, dût-il consacrer sa vie à fouiller la meule de foin chinoise, en quête de l’aiguille qu’était l’assassin. Durant 10 ans, il arpenta le Yunnan, vivotant de petits boulots et enquêtant. Partout, il montrait les photos de son ex-patron, suivant des pistes qui invariablement se refroidissaient, mais qui enrichissaient son portrait de ce tueur amateur. Shunming devinait les raisons qui guidaient la fuite de Ren : la peur, le remords – mais aussi le mal du pays ! Il tenta Shanghai, pariant que Ren voudrait se fondre en ce creuset de 20 millions d’âmes déracinées. Echec.
L’idée lui vint alors de tâter du Guizhou, province pauvre, planque idéale d’un homme voulant à se cacher. Il fit d’abord Guiyang : encore chou blanc… Mais à 30 ans, sa motivation était dure comme du diamant : détective à son propre compte, il n’avait qu’un seul fil à rembobiner, et toute sa vie pour le faire !
A Guiyang, au district de Nanming, le 15 mai 2013, ayant eu vent d’un dîner d’anciens du Yunnan, il était curieux de rencontrer une célébrité, un certain Ran Gengsheng. Le profil ne cadrait guère : c’était un intellectuel reconnu, Président d’un Institut de recherche en planification, juste promu de l’Académie nationale d’ingénierie.
Pourtant à peine l’eut-il vu, Shunming sut que la traque s’achevait : c’était lui ! Par ironie du sort, il rattrapait le bourreau de son frère à 35 ans, âge qu’avait celui-ci lors de son forfait. Avec infinie prudence, il fit photographier le bandit avec son portable par un de ses amis. Puis il se précipita chez le commissaire, qu’il convainquit : sur le champ, une patrouille vint coffrer l’homme.
La confrontation débuta. « Ran » commença par nier. Mais quand Yang dévoila son identité, puis distilla 100 faits accablants, Ren s’effondra. Durant sa cavale, par des in-termédiaires, il savait que Shunming était sur ses traces. C’est pourquoi il avait quitté le pays pour Canton, puis Shenzhen, puis Hong Kong, avant de retourner au Guizhou en 1999, par mal du pays. Shunming avait vu juste. En 16 ans, il avait voulu refaire sa vie, avait étudié, était devenu consultant pour l’Etat, prof de fac, orateur de renom. Mais plus jamais il n’avait osé appeler ses parents, ni leur envoyer de l’argent. Mauvais fils, il avait porté la honte sur les siens, pour un geste de folie incontrôlée. En sanglots en salle d’interrogatoire (cf photo), le meurtrier s’accusait devant les policiers et son justicier…
Pour Yang et Ren, c’était la fin de la grande course. Ren peut préparer sa défense car il risque la peine de mort, même 16 ans après le crime. Shuming lui, peut faire le deuil de Shunxiang et cesser de ressasser sa vengeance, de « dormir sur un lit de branches et ravaler sa bile » 卧薪尝胆(wò xīn cháng dǎn).
Sommaire N° 25-26