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Time Out Beijing la revue (en chinois) des fashion victims, Hung Huang est d’une nature complexe et attachante, forcée par son passé de louvoyer entre son héritage américain aux exigences de clarté et de transparence, et sa Chine de toujours, qu’elle tente de faire bouger. Non sans succès : son blog est suivi par 16 millions de Chinois anxieux de rester à la page !Sa vocation : aider sa société à faire le lien entre un état d’esprit simple des années ‘80, et ce XXI. siècle de jeunes révoltés, citadins, salariés, individualistes. Huang déconstruit : par ses conseils et son mode de vie, elle décourage le conformisme et la discipline, et encourage l’affirmation de soi, l’art, la musique, la bonne chère, toutes choses longtemps oubliées.
Dans le quartier de Sanlitun à Pékin, Huang a aussi ouvert BNC (Brand New China), boutique avant-gardiste qui héberge et lance les collections de jeunes stylistes.
Telle audace est rare en Chine, surtout chez une femme. Mais Huang fut formatée par ses origines, de longue date aux plus hautes sphères intel-lectuelles du pays.Son grand-père fut ministre de l’éducation sous Chiang Kaichek, notable sous Mao – mais refusa toujours d’adhérer à tout parti. Après la révolution de ’49, son père prof de fac fit comme lui, refusant sa carte au PCC. Sa mère par contre, fut le prof d’anglais de Mao, et après son divorce, prit en secondes noces un ministre des Affaires étrangères. Hung Huang elle-même s’en tint à cette tradition familiale des grands mariages, en comptant parmi ses époux, Chen Kaige, star du cinéma.
Hung Huang naquit juste après le calamiteux « grand bond en avant». La révolution força souvent ses parents à de mystérieux exils à la campagne. Elle fut éduquée par ses grands-parents, dans une « cour carrée » traditionnelle.
Son destin bascule à l’âge de 12 ans : sa mère l’envoie à New York, avec 4 jeunes espoirs de la nomenklatura, secrètement voués à une carrière d’ambassadeur ou de ministre. Mais l’éducation américaine la happe. Elle en reviendra à 24 ans bilingue, en grand conflit entre la subculture yankee et la morale chinoise dominante, patriotisme, service, fidélité à l’héritage antique. Elle fréquente donc les deux bords, chinois et expats, d’abord comme consultante, puis reprend en 1999 le magazine agonisant d’ un ami américain ayant tenté l’aventure de lancer un media gratuit en Chine.
Aujourd’hui, Huang croit avoir réussi, en maintenant le titre à flots et en diffusant l’image d’une femme libre, dans une vie innovante.
Pour autant, Huang reste lucide sur la perte de valeurs qui ravage la Chine, et l’incapacité de ses concitoyens à communiquer et dialoguer. Ce blocage, à son avis, pourrait autant être attribué au système, qu’au passé. Rien, à ce qui lui semble, ne résume mieux cette impasse que ce meuble (cf photo) qu’elle garde précieusement chez elle : un “ershisi shi”, (二十四史), ou “armoire des 24 dynasties”. Irrégulièrement cloisonné, il contient 24 réceptacles, un par dynastie, des Qin, (亲-221-209) aux Qing (清1644-1912), chacun plein de dizaines de monographies d’empereurs, imprimées en caractères classiques De ces meubles, croit Huang, il ne resterait que 200 au plus – le reste fut brûlé dans les autodafés de la Révolution.
Pour cette artiste et femme d’affaires, l’objet d’époque Qing est son héritage, legs du grand-père. Mais il porte une signification contradictoire : il témoigne d’une culture sclérosée, peut-être même mort-née en un passé férocement autoritaire, et en tout cas stérile, puisque cet objet « de décoration » ne sort jamais ses livres, qui ne sont jamais lus.
Mais il est aussi le rappel d’une famille intellectuelle, fidèle aux valeurs de transmission du savoir. Même après la révolution, la société chinoise conserve une vénération envers le lettré, qu’il soit riche ou pauvre. Ce petit meuble “ershisi shi” fait de son propriétaire (à condition qu’il s’agisse d’un objet de famille et non acquis sur un marché d’antiquités) un être de haut statut : «un genre de grand prêtre de la société», ajoute Huang avec un petit rire. « Nous sommes « shūxiāng mén dì » (书香门第), conclut-elle : une famille, dont on sent encore les origines, comme en odeurs, par « une porte dont émane toujours la fragrance des livres ».
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Jean
18 mars 2013 à 09:16Une misère, ce meuble! Même pas assez de place pour y fourguer les pensées de Mao…