Société : 21 décembre 2012 : Gare à la fin du monde — mais de quel monde ?

Corbis MayaLe 12/12/2012, épidémie universelle de mariages (4 200 à Pékin, 5 000 à Shanghai, 2 410 à Canton). Certains ont choisi la date pour son homophonie (12 en mandarin ressemble à « yao ai » – amour). La plupart veulent en fait être unis pour le 21/12, journée où tous les bureaux des mariages affichent complets car ce serait la date de la fin du monde, selon ce calendrier maya antique, exhumé en 2001 au Guatemala. Même si le texte se contente de prédire la « fin d’un cycle », une partie de la Chine préfère croire à la « fin du monde » 

<p>(世界的末日 shìjiè de mòrì). 

Au Sichuan, les magasins de Shuangliu et Longchang (villes marquées par le séisme de 2008) sont vidés de leur stock de bougies et d’allumettes : la prédiction parle de « 3 jours de ténèbres ». 

À Urumqi (Xinjiang), un certain Lu Zhenghai a mis tout son patrimoine dans une arche, inachevée.

Au Zhejiang, Yang Zongfu a breveté son « Atlantis » – bulle de survie de 4 m de diamètre en fibre de carbone. 

Dans les commissariats de Shanghai en 24heures, 25 plaintes fusèrent contre autant de « prophètes » élucubrant dans les rues. 
À Chengdu, un patron a donné, à son personnel, 2 jours de « congés de fin du monde ». Cela lui a valu de se faire rabrouer par l’inspection du travail, pour infraction aux règlements…

Un détail interpelle : pourquoi la Chine, d’ordinaire si centrée sur ses propres références culturelles, se fie cette fois à un texte issu d’une autre civilisation aux antipodes ? 

En tout cas, l’appétit du gain n’est jamais bien loin. 

Taobao, le géant du commerce en ligne, offre des « soldes dingues avant la fin du monde ». De même, Yang Zongfu prétend avoir vendu 10 de ses « bulles », à 1,5million de ¥. 

A Hangzhou (Zhejiang), des escrocs se font arrêter tentant de délester des crédules de leurs biens, leur promettant la vie sauve en échange. 

A Hong Kong, le restaurant Aqua offre le soir fatidique un banquet de 6 plats, à 2 112.12 HK$ – « gratuit en cas de fin du monde ». 

City Express, journal d’ordinaire sérieux du Zhejiang, relate trois chutes de chantiers ayant causé la mort, et met cela sur le compte de la malédiction maya. Mais un lecteur décèle ici une « ficelle » malicieuse du journaliste qui, en accusant le calendrier guatémaltèque, évite d’accuser les bâtisseurs corrompus, et de ce fait, sauve son papier de la censure. 

Sur le fond, cette fièvre chinoise nous fait mettre le doigt sur quelques traits de cette société. D’abord, une forme de naïveté liée à la légèreté du bagage technique -d’une école obligatoire depuis seulement deux générations. 

Il y a aussi une culture des forces astrales, du qi (气 – force méridienne) et de l’irrationnel. On note aussi l’absence de sociétés privées (d’archéologie, d’histoire ou d’astronomie par exemple), qui aient la légitimité (dont l’Etat manque) pour réfuter ce genre de racontars colportés. 

Enfin peut aussi jouer une forme dévoyée, inconsciente de résistance à l’autorité centrale : tout citoyen est convaincu que le modèle de gouvernance autoritaire bornée, n’est pas durable. Mais exprimer ses convictions fait risquer l’étiquette de dissident. Ils le font alors de façon indirecte, sous des formes anarchiques et folles, dans des moments comme celui-ci, pour dire que « ce monde-là est condamné ».

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