Petit Peuple : Pékin – histoire de Noël !

A Shenzhen en 2004, Qi Lixia était une de ces millions de mingongs (民工) déracinés de leur village pour aller vivre à la côte. Quittant un soir son imprimerie après 10heures passées dans les fortes odeurs d’encre, elle tomba sur un genre d’OVNI : un bus portant l’enseigne « Club de lettres pour travailleuses ». Interloquée, prenant son courage à deux mains, elle entra dans le bus… pour se retrouver au pays des merveilles !

Il n’y avait pas que les livres bien alignés en leurs rayons, les tabourets, les posters du bout du monde, des volontaires étaient là aussi, qui lui prêtaient attention, lui parlaient d’elle, de ses droits, des non-dits de sa vie d’ouvrière. Elles lui rappelaient que l’Homme ne vit pas que de riz et que pour être heureuse, il fallait aussi échanger. C’était le seul antidote à la sueur, la poussière, les misères d’une existence végétative. 

L’effet de la rencontre fut dramatique : négligeant une offre d’augmentation, Qi quitta son job pour se lancer à la suite de ces femmes, aller en réveiller d’autres à leur destin – sa croisade, on l’a compris, était féministe. Ouvrier dans la même usine, son mari ne put l’en détourner : au Chunjie (nouvel an lunaire) suivant, il dut rentrer seul chez eux à Kaifeng (Henan). Elle resta sur place—leur union était ruinée. 

Avec cette ONG, elle passa deux ans à militer. Elle le fit de façon héroïque, sans logis, souvent sans manger. Mais il n’était pas question de faire marche arrière. Et puis Qi se faisait des amies, telle Huang Li, descendue à 16 ans travailler à Shenzhen, qui avait vite réalisé l’absurdité de sacrifier ses jours derrière une machine pour quelques sous. 

A l’automne 2008, elles partirent pour Pékin, puis montèrent à quatre, en 2010 leur «Communauté de Mulan » – du nom de la guerrière antique qui s’était déguisée en homme pour partir à la guerre.

Pendant ces années, la misère fut profonde : sans moyens, elles survécurent à 100 ¥ par mois par personne, se nourrissant de mantou (pain étuvé) et de boites de conserve. Faute de pouvoir payer le loyer, elles dormaient toujours en banlieue, en 10m², et sur lits de camp. 
Au cours d’une de leurs discussions, l’une avait demandé : « pourquoi à la radio n’entendons-nous jamais une chanson qui raconte ce que nous vivons, notre quotidien? » 

Ce fut le déclic : elles se mirent à écrire leur tube. Freinées par leur faible instruction, elles mirent deux mois à rédiger les 179mots de « Les magnolias fleurissent ». Une institutrice en maternelle qui connaissait la musique, mit en forme la mélodie. 

Le 01/01/2012, elles tinrent leur 1er show. C’était sur un chantier, par 2°C. En guise de feux de la rampe, dardait un projecteur de grue. Mais le public ne manquait pas : plus de 1000 maçons, leurs frères en infortune assistaient assis sur des briques ou à même le sol, éblouis d’avoir leur « concert de nouvel an ». Elles commencèrent par quelques numéros de danse, quelques chants en solo à la guitare, un sketch burlesque, « Les ménagères en folie ». 
Puis vint le moment du tube : ce fut un succès délirant. C’était un chant sans malice, mais d’une puissance magique, car ce public de démunis admirait ces actrices tout aussi précaires qu’eux et qui trouvaient pourtant la force de revendiquer leur joie de vivre. « Les graines de magnolias (l’image choisie par ces femmes pour elles-mêmes) poussent là où elles tombent. Simples, nous travaillons dur, et prenons en charge famille et société ». 

Au-delà des bravo, l’auditoire manifesta son contentement par la casquette débordante de ses petits sous. Suivirent alors d’autres concerts, puis toujours plus. Aguerrie, en confiance, la troupe enrichit son répertoire, avec notamment une pantomime racontant un désastre conjugal comme celui de Qi : la séparation et sa nouvelle vie, ayant réussi à lancer un petit restaurant. 

En avril, Rêve de Chine, l’émission de variété de Hangzhou (Zhejiang) les invita à sa session. Le soir de la finale, faisant pleurer toute la salle (et toute la Chine dans ses pénates), elles remportèrent le titre pour devenir depuis, les coqueluches du pays. 
L’adversité ne les a pas détruites, mais forgées en un nouvel ensemble indestructible et mutant, tout e

 décapant chacune de son carcan de banalité pour en faire ressortir la noblesse. Ce qui en chinois se dit : « entre pin et cyprès, c’est le gel qui permet de faire la différence» (suì hán zhī sōngbǎi, 岁寒知松柏) !

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