À la loterie des naissances, en Chine pas plus qu’ailleurs, tous les parents ne tirent pas toujours le gros lot : en 1964 à Mulan (Heilongjiang), cinq mois après la venue de leur fille Dongmei, le couple Zhao, instituteurs, portaient le poupon à l’hôpital, alarmés par son regard atone. Le verdict fut sans appel : paraplégique, l’enfant n’atteindrait pas 20 ans.
Dans l’attente de l’issue fatale, les parents stoïques se ruinèrent en soins pour l’enfant internée. Jusqu’au jour où, 12 ans plus tard, en 1976, la petite grabataire supplia les parents de venir la reprendre. Elle avait décidé de lutter, de tirer le meilleur de ce corps limité qui lui était échu.
Du mieux qu’ils purent, ils équipèrent sa chambre pour son handicap. Apitoyés, des collègues maîtres la prirent dans leur classe, sur un lit dans un coin, sans rechigner à la tâche.
Et ce fut le miracle, peut-être insufflé par la disparition de Mao qui permettait au pays de renaître de ses cendres. Dongmei transfigurée, fut habitée du bonheur de revivre. Toute sa vie, elle avait reçu des autres, et appris à remercier, d’un simple sourire de gratitude. À présent, en écrivant et lisant, elle pouvait fixer ses émotions dans des mots. C’était une liberté nouvelle et l’approfondissement du sens à sa vie : elle voulait s’instruire, pour pouvoir se rendre utile.
1980 apporta un autre défi. Ses parents furent mutés à Harbin et à 16 ans, elle perdit son droit à l’école. En chœur, sous des prétextes dilatoires, les collèges de cette capitale du Nord-Est rejetèrent sa candidature. Mais Dongmei tint bon. Ses parents lui obtinrent les manuels et programmes. Du fond de son lit, été comme hiver, elle potassa, assez dur pour aller à l’université.
En 2004, pour ses 40 ans, émus par son courage, ses vieux parents lui offrirent un PC, et l’accès à l’internet. À la paralytique, l’étrange machine apparut spontanément comme un genre de frère issu de limbes extragalactiques, venu briser sa prison de verre. Frère, mais aussi animal sauvage, qu’il lui fallut domestiquer : de ses orteils, en trois mois, elle dompta souris et clavier.
Dès lors, elle tint son blog, et avec sa vision intériorisée du monde, son honnêteté et son style élégant, il fut bientôt publié dans la presse.
Elle remporta des prix littéraires, y compris en 2010, le 3ème prix du concours national de l’Agence Chine nouvelle.
Encouragée, elle fit un appel, sur son blog –toujours en 2004, année-phare de son existence : elle demanda à l’âme-frère, à l’amour de se déclarer. Bate alors se présenta, qui l’admirait anonymement depuis des mois.
Ne nous étonnons pas que Dongmei le rembarre : après avoir tant attendu, la dernière chose qu’elle voulait, était de tomber sur un joli cœur, avide de sa seule notoriété.
Mais Bate sut y faire. Lui-même était handicapé, souffrant d’une jambe « un peu paralysée ». Une grande part de son sentiment reposait sur l’admiration, d’avoir tant su faire, en s’appuyant sur son handicap au lieu de tenter de le nier. Tchatant avec elle, il lui raconta sa vie d’orphelin de deux ans plus jeune qu’elle, avec un grand frère, son tuteur, dans la grise et minière ville de Baotou (Mongolie).
Il se marièrent en janvier 2005, s’installèrent à Mulan chez les parents. Depuis, ils ont fondé un site de rencontres pour handicapés, qui compte à ce jour 40 couples à son actif. Devenue une vedette de l’univers virtuel chinois, Zhao Dongmei parle à 200 groupes de discussion, et 40.000 personnes diminuées. Plus les dons affluent vers elle et son couple, plus elle rend, suivant la technique de la « boule de neige » : offrant quelques yuans, suite à tel accident ou séisme, ou pour un ordinateur à une jeune hémiplégique, pour inspirer d’autres dons à la chaîne…
Et c’est ainsi qu’après l’avoir tant défavorisée au départ, la vie l’a ensuite comblée au centuple, après qu’elle ait donné la preuve de son énergie altruiste. C’est le message qu’elle parvient aujourd’hui à propager : « le ciel aide ceux qui s’aident »
(自助者天助, zìzhù zhě tiānzhù).
Sommaire N° 33