Les 01-03/06 à Singapour, le Sommet Shangri-la réunissait 28 pays de la zone Pacifique sur des sujets de sécurité.
Leon Panetta, le Secrétaire fédéral à la Défense, a défendu la stratégie de B. Obama de retour de la flotte américaine dans la région, dont 60% (contre 50% aujourd’hui) devrait opérer dans le Pacifique, libérés par la fin des conflits en Irak et en Afghanistan. Six porte-avions sillonneront la zone en 2020 dont le USS Gerald Ford à partir de 2015, et un destroyer furtif révolutionnaire.
Panetta marqua des points, en retournant au Vietnam à Cam Ranh, qui abritait autrefois la flotte américaine, et y suggérant son retour. De même aux Philippines, à en croire le sous-secrétaire H. Azcueta, les USA ont recouvré le droit d’«utiliser» leurs ex-bases de Subic et Clark. Il ne s’agit, prétend Panetta, que de soutenir les nations d’Asie dans la convention d’un code de conduite, de règles de navigation, et d’un forum d’épuration des litiges.
Et la Chine ?
Au lieu de protester, elle garde profil bas. Elle relève l’« incohérence » entre les objectifs affichés («ne visant personne») et un redéploiement militaire «évidemment dirigé contre elle». Elle rappelle aussi sa «capacité de frapper en retour, quand ses intérêts fondamentaux sont menacés ». Riposte douce qui vise à maintenir une bonne relation avec les USA pour Xi Jinping, une fois à la tête du pays.
Il s’agit aussi de ne pas effaroucher l’Inde. Car entre USA et Chine, rivaux pour la maîtrise du Pacifique, Delhi se retrouve dans le rôle –confortable– de l’arbitre.
Aussi, le fait que Panetta se trouve à Delhi (05-06/6) quand SM. Krishna, le ministre des Affaires étrangères indien, est à Pékin, ne doit rien au hasard. Affirmant n’avoir avec la Chine qu’ « un litige » frontalier (Pékin revendique l’Arunachal indien comme Sud-Tibet), Krishna cultivait les deux alliances.
En marge du sommet du Club de Shanghai (SCO), il était reçu par Li Keqiang, le futur 1er ministre, et militait pour l’entrée à part entière de son pays à la SCO (il y est déjà observateur depuis 2005). En même temps à Delhi, AK. Antony, ministre indien de la Défense, suggérait à mots couverts à Panetta que Washington révise son initiative de sécurité multilatérale, de façon à la rendre « confortable pour tous ». Pour l’heure, l’Inde se montre plus que réservée quant à cette coalition montée par le Pentagone pour contrer la mainmise de la Chine sur la mer portant son nom.
Toujours dans cette optique de non alignement, Delhi se gardait aussi de valider avec les USA trois accords de défense en logistique, communications et satellites. Ce qui ne l’empêchait pas, sans crainte de se contredire, de poursuivre les palabres d’achats aux USA pour 2 milliards de $ en hélicoptères lance-missiles Boeing, et en obusiers ultra légers M-777, lesquels (à part le Pakistan) ne pouvaient avoir d’autres « clients » potentiels que la Chine.
L’essentiel est ailleurs. Durant le sommet de la SCO, Vl. Poutine déclarait que la Russie « renforcerait en mer de Chine les manœuvres conjointes » comme celles d’avril, à 20 bâtiments des deux pays. L’annonce est motivée par le retour de la flotte américaine dans ces eaux qu’elle avait quittées 20 ans plus tôt. Ainsi donc trois puissances d’Asie – Chine, Russie et Inde– s’entendent pour refuser ou questionner ce retour. En face, Vietnam et Philippines, sûrs de leur bon droit et craignant d’être spoliés de leurs propres eaux, viennent s’ajouter aux alliés des Etats-Unis dans la région : Japon et Taïwan. Et toute l’Asie réarme aussi vite qu’elle le peut.
Voit-on émerger deux alliances de défense, la SCO (avec l’Inde à sa porte), et une structure style OTAN, dérivée du sommet Shangri-la ?
Russie et Chine s’en défendent vertement – mais les choses vont vite. On se prend à espérer que ces camps qui se dessinent soient un facteur positif, forçant les camps à discuter entre eux et avec ceux d’en face. Entre les deux bords, hésite l’Inde – tant par philosophie pacifiste-gandhienne, que par intérêt, en tant que faiseuse potentielle de roi. Gardera-t-elle longtemps ce luxe ? Tout dépendra de la capacité de la Chine à transiger sur le partage avec ses voisins de « sa » mer, ou bien au contraire, à s’abandonner à sa passion nationaliste, comme « assurance-vie » du régime. Une tension faite pour durer.
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Jean Severy
3 septembre 2012 à 06:08Avec des éditos de cette qualité, on se demande honnètement pourquoi Eric Meyer n’est pas maître de conférences en Chine contemporaine à la Sorbonne. Informé au plus près de la source et faisant montre d’une finesse d’analyse peu commune, il est un modèle de concision et de journalisme qui en remontrerait au meilleur expert en sinologie. Une chaire pour Eric Meyer!