Petit Peuple : Qingdao – Pan Qi, l’arbre qui gâche la forêt

«L’Amazonisation» des villes chinoises, est l’un des mystères du XXI. siècle en Chine. 

Entre bitume et asphalte, poussent arbres et parterres, jusqu’à gêner le passage des deux-roues et piétons. Affaire pavée de bonnes intentions : il faut domestiquer la jungle de béton, canaliser gaz d’échappements et poussières, mettre au vert les yeux larmoyants. Après le succès des plantations de Pékin pour les J0 en 2008, toutes les métropoles provinciales, conformistes et opportunistes, ont emboité le pas. C’est pourquoi à Qingdao ce printemps, Pan Qi, la journaliste, poussa des cris d’orfraie en voyant « sa » place Huiquan massacrée, pelouses défoncées par les semi-remorques, les milliers de troncs malingres déposés dans l’attente d’être transplantés, alignés comme des poireaux.

Pour la chroniqueuse de 27 ans, c’était un crime de lèse-enfance : ce square, c’était là où petite, elle aidait grand-père à lancer ses cerfs-volants.
En bonne Chinoise, Pan Qi avait toujours professé un mépris gouailleur sur toute politique, même locale. Mais là, son sang ne fit qu’un tour. D’une volée de tweets vengeurs, elle posta l’incident sur le microblog de Weibo. Puis elle alla sur place adjurer les jardiniers d’arrêter le carnage vert: de préserver l’âme de la ville. Incrédules, les manœuvres en sueur détaillèrent le maquillage, le tailleur, les talons hauts. A mi-voix, ils objectèrent qu’ils obéissaient aux ordres : « allez voir avec le patron » . Les plus audacieux ajoutèrent qu’ils étaient bien contents de faire bouillir la marmite, à 120¥/jour.

Changeant de tactique, Pan Qi appela le bureau de la construction, et fut reçue par une fonctionnaire courtoise, mais sure de son droit et bien décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds par une simple citoyenne.

Sur Weibo cependant, la sauce commençait à prendre. Les tweets de Pan Qi étaient suivis de milliers d’autres, posant les bonnes questions: le gazon serait-il replanté ? Les essences choisies résisteraient-elles au climat océanique iodé de Qingdao ? Le projet du « planteur fou » (comme on commençait à l’appeler) coûtait 4 milliards de ¥ : combien étaient perdus en bakchichs aux cadres vénaux ? Surtout, sur un sujet concernant au 1er chef la population, comment la mairie avait-elle pu omettre de la consulter ?

Du coup, celle-ci se mit à communiquer : déjà balnéaire et portuaire, la fière cité maritime était en train de mettre une autre corde à son arc, une vocation forestière, florale, écolo. Dès le 1er mois, 1,8 million d’arbres avaient été plantés, 40 à la minute, jour et nuit : la cité d’avant-garde volait de victoire en victoire !

La journaliste avait potassé son droit : plusieurs lois lui permettaient d’interpeller le rond de cuir, d’exiger des réponses.
Commença alors une vicieuse bataille. Pan réclamait des comptes : devant son avancée, les cadres tendaient une grande muraille téléphonique, la baladant de bureau en bureau, du paysagiste au responsable des parcs, du service des pétitions au sous-comité juridique. Mais sans jamais lâcher prise, Pan nota tout, reconstitua l’organigramme avant de tout rebalancer sur Weibo, au nom des droits et des devoirs du citoyen.

Et cette fois, miracle : ce ne fut plus Qingdao mais la Chine entière qui applaudit, blâma la mairie, le « grand blanchiment vert », clamant que le pays avait besoin de plus d’esprits civiques comme le sien.

On en est là : à la mairie, on fait le gros dos, laissant passer l’orage tandis que les planteurs impavides poursuivent leur tâche, sans perdre un tronc ni une minute. En apparence, c’est donc le système qui gagne, et la journaliste qui mouline en vain ses attaques, « lançant un œuf contre une pierre » (以卵击石,yǐ luǎn jī shí). Mais dedans leurs murs, les fonctionnaires ont encore le cœur qui bat à 140 coups/ minute. De mémoire de mairie socialiste, jamais on n’a vécu contestation si frontale et audacieuse. Aussi, loin d’être une fin, c’est un début. Et du haut de ses 27 ans, Pan Qi le sait bien !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
9 de Votes
Ecrire un commentaire