Editorial : Le temps de l’introspection

Péniblement, à quatre mois d’un XVIII. Congrès qui marquera un tournant dans l’histoire du pays, la Chine fait son introspection sur une longue série d’« affaires », qui dérangent par leur prolifération apparemment incontrôlable.

– Ainsi depuis 2008, le pays affronte son 4ème incident majeur de qualité du lait pour bébé, en dépit de tant d’efforts des ministères pour permettre au secteur de regagner la confiance.

– L’opinion attend fin juin le rapport d’autopsie du dissident Li Wangyang, retrouvé pendu au lendemain du 23ème anniversiare des événements de la place TAM. Même à Hong Kong, Chow Yat-ngok, ministre de la Santé (sortant) adjure ses concitoyens de réclamer la vérité.

– Dans l’univers de la TV, 100 critiques fusent, par exemple contre « Dialogue » (CCTV-9) dont le commentateur s’est égaré en mai en propos xénophobes, ou contre « Only You » (Tianjin-TV) dont le présentateur est accusé d’« arrogance » et d’ignorance des « valeurs morales ». Des téléséries sont aussi attaquées, jugées « indigestes » et « pompeuses » : pas assez libres, leurs réalisateurs ne trouvent pas le terreau propice à leur créativité.

– A Chongqing, Zhang Dejiang, le nouveau Secrétaire du Parti, avoue (18/06) que le scandale suite au départ de son prédécesseur Bo Xilai (mars, avril), a endommagé durablement l’image du Parti.

– A Pékin, le dissident Ai Weiwei se voit interdit (20/06) d’assister au recours en justice qu’il intentait à l’Etat.

– A Fuzhou (Fujian), un pétitionnaire meurt empoisonné par des gangsters, semble-t-il, aux ordres des cadres qu’il accusait d’expropriation illicite.

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Ce n’est pas par hasard si le 18/06, le Parti communiste chinois (section de Pékin) publie un ouvrage en 4 tomes, « Etude sur l’intégrité morale des cadres en Chine antique et contemporaine ».

Il s’agit d’insuffler dans les mois qui le séparent du XVIII. Congrès, un réarmement moral parmi le corps des serviteurs de l’Etat. Fruit de deux ans de recherche de la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales), sous l’égide du Comité de vérification de la discipline et du département de la propagande, il cite Confucius, le Tao, et décline les six aspects de la moralité classique chez les cadres : service du peuple, loyauté, pragmatisme, équité, incorruptibilité et discipline. Il définit aussi ses vices : « avidité excessive, exploitation du peuple et tyrannie brutale ».

Plus subtilement, un autre essai de relèvement moral est diffusé en boucle à la télévision : sur orbite, les 3 cosmonautes du vaisseau Shenzhou-9 enchaînent les actes simples (boire avec une paille, faire des saluts amicaux en apesanteur) et techniques (expériences scientifiques). Ils sont un puissant symbole, rêve de transplanter dans l’espace un bout de société socialiste chinoise, hors-poussière et corruption, admirable de courage et de discipline…

Hélas, ces images de pureté et de records battus, dans l’espace comme au fond de la fosse des Mariannes par moins 6900m (par le sous-marin Jiaolong, 20/06) flattent le patriotisme, mais ne peuvent faire beaucoup pour rétablir la confiance de la rue. Pas plus que la campagne de rééducation des cadres.

Sur ce sujet, paradoxe: la plus forte cri-tique à cette action vient de Zhang Lifan, historien, ex-membre de la CASS, la sphère intellectuelle dont émane l’Etude sur l’intégrité. Zhang rappelle les dizaines de campagnes lancées au fil des décennies dans le même objectif, et leur échec pour la même raison : pour protéger une caste du vice, partout sur Terre, l’éthique est inopérante, il faut l’application de la loi.

La différence par rapport au passé, est que jamais la population chinoise n’a été si éduquée et enrichie (ou enrichie parce qu’éduquée). Désormais, elle voit, et ne supporte plus la corruption. Aussi l’on comprend les doutes de Zhang sur les chances de succès de cette campagne. Mais l’appareil, au moins, aura prouvé sa conscience du problème, et sa volonté de reprendre le dessus.

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