Blog : De la tolérance envers l’étranger par temps de crise

Chers amis, trève de bavarder sur un mariage chinois, si intéressant fût-il. Nous sommes en crise, cette fois ça y est, une vraie crise à la mode de 1929. A l’automne 2008, quand l’Amérique commença à divaguer de W. Mae en Freddy Mack et que ses établissements bancaires se mirent à valser sur rythme de charleston, s’emmêlant les crayons et faisant trébucher leurs danseurs qui étaient le reste de la planète, nous n’avions pas idée que le plus fort du séisme, de l’éruption volcanique restait à venir. 

Et puis voilà que la Chine se lance dans une campagne vraie et profonde de rejet de l’étranger. On connaît les incidents déclencheurs : un jeune touriste britannique qui tente, sous la camera d’un téléphone mobile, de violer une jeune chinoise, un Russe qui refuse d’enlever ses pieds du siège d’en face dans le train, occupé par une dame chinoise n’aimant pas les odeurs corporelles…  Les châtiments n’ont pas tardé : l’Anglais a été lynché et ensuite probablement pas très bien traité par l’hôpital où il fut admis ; le violoncelliste (car tel était le métier du russe) fut chassé de son orchestre symphonique national. Et tout de suite, débuta une campagne nationale de 100 jours, pour vérifier les identités des étrangers. 

Pour le moment, apparemment, les autorités se contentent de rendre visite le soir aux étrangers,souvent jeunes et au visa le plus probablement précaire. Parfois, il nous revient que la police a été aidée par des voisins patriotes. J’ai ici une image repiquée sur internet, d’un numéro de téléphone. 

 
Un autre cas a été, ce week-end, le report géographique du festival de musique électronique « Intro ». Pour sa troisième édition, c’était un événement ambitieux et sérieux, organisé sur le prestigieux site du « 798 », avec nombreux groupes internationaux et deux scènes, au prix d’entrée conséquent (de 150 à 300 yuans). Au dernier moment, il fut interdit sur place, et reporté plus loin en direction de l’aéroport, sur un terrain dit de l’ « île aux crabes », avec pour tentative de clairsemer les rangs des aficionados et torpiller l’événement. 
 
Pourquoi tout cela ? Trois raisons, je vois (il y en a peut-être plus) : 
 - la crise : les Chinois commencent à souffrir pour de bon. Ils se disent : « les étrangers qui font ces messieurs les princes chez nous, roulent carrosses et sortent avec nos filles, commencent à nous pomper ».  
 - la crise (pas la même) : l’affaire Bo Xilai, l’affaire Chen Guangcheng, montrent une face du régime qui est terriblement négative. C’est au plus profond du trou, la légitimité du régime qui sombre dans le noir, comme elle le fit autrefois après la révolution culturelle. Pour sauver le système, ce qui n’est pas acquis, il faudra faire des concessions, comme Deng les fit au début des années ’80, lançant ainsi la Chine dans ses trente glorieuses. Je crois que nous sommes à l’aube d’un processus de même nature. Et dans ces moments, la présence de l’étranger n’est pas la bienvenue. 
 
– Il y a quelques mois, une amie chinoise m’expliquait les raisons d’une frange importante (majoritaire ?) de ce peuple d’apprécier Bo Xilai : son gauchisme, qui était une quête de l’âme chinoise, déboussolée après 30 ans d’immersion dans un système néo-occidental. Toutes les technologies avaient été changées, intensifiées. Celles bancaires comme celles de production. S’en était fini du logement à 3 yuans par mois, du litre d’huile de sésame distribué chaque mois sur ticket de rationnement, de la carpe offerte au moment du chunjie. Terminée, la sieste de deux heures à midi sur son bureau de bois. Maintenant, on était stressé, déprimé, myope – plus riche certes – mais enfumé, pollué… Les Chinois  
avaient envie de faire « un peu marche arrière », pour se retrouver entre soi, faire le point, voir si, de tout ce renouveau, tout était à garder. Valider le passé. 
 
Au demeurant, ce sentiment de méfiance un peu exacerbé contre l’étranger me semble bien présent en tout pays du monde, tant la crise frappe partout également. Chacun voit midi à sa porte, et Pierre me disait hier soir qu’en Suisse même, le policier interpellait quiconque à l’aspect « peu de chez nous » pour vérifier ses papiers. 
Comme en Chine. En France même, je ne vois pas (du tout) de capacité à se remettre en  cause, à accepter le fait que nous consommons plus depuis 30 ans, que nous ne produisons, et que la dette accumulée nous est avant tout directement imputable. Il va falloir pâtir de cette crise dans l’inconscience, en l’attribuant à la faute d’autres – à l’étranger. 
Brrr !!! Ca fait froid dans le dos. Mais si c’est inévitable, acceptons de franchir cet avenir froid. Avec le sourire ! En souriant des autres et de nous-mêmes, de cette même espèce humaine, si égale et différente à la fois, disséminée en tout point de la planète terre. 
 
Et justement, j’en viens au second morceau du titre de ce blog. C’est le titre de mon dernier livre, que je viens de terminer et qui devrait être en librairie d’ici juillet : « cent drôles d’oiseaux de la forêt chinoise », sous-titré « chroniques pas si ordinaires de la vie des Chinois d’aujourd’hui » (éditions de l’Aube). 
Certains d’entre vous s’en seront douté : il s’agit des chroniques « Petit peuple » du Vent de la Chine, de l’été 2006 à janvier 2009, mais entièrement réécrites, vérifiées, portées à des sens nouveaux. Elles viennent du proverbe  林子大了,什么鸟都有, (lín zi dà le, shén me niǎo dōu yǒu – La vaste forêt dissimule toutes sortes d’oiseaux). 
 
En écrivant les aventures véridiques de nos frères humains chinois, je tente d’effacer la suspicion entre nos peuples, et de donner à nos « concitoyens » (je n’aime plus trop le terme, recevant ces temps-ci trop de mails en « mes chers concitoyens », réclamant mon vote aux élections législatives) le courage d’ôter leurs lunettes à préjugés pour voir l’avenir en face. 
 
En tout cas, voilà ce que j’ai décidé : toutes les semaines, jusqu’à fin août, je vous donne rendez-vous lors de mon prochain post pour découvrir un de mes drôles d’oiseaux. Excellente et brève lecture de vacances ! 
A bientôt et surtout, à travers ce blog, échangez avec moi, et entre vous, vos idées sur cette crise et sur la campagne anti-étranger !  
 
 
 
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