Blog : A-yi marie son fils

A peine de retour de sa plage à Sanya, en février dernier, le temps de nous concocter un ou deux de ses délicieux dîners (tels la rou bing, galette grillée fourrée à la viande, ou bien ses tranches frites de bulbe de lotus farcies au haché de porc mariné), A-yi est en pleins préparatifs du mariage de son fils.

Comme en toute famille, sur tous les continents, depuis que l’homme est homme, c’est l’aboutissement d’une vie de labeur honorable, et l’espoir de victoire sur la mort. C’est donc tout un défi, jamais gagné d’avance : quatre ans plus tôt, le mari de A-yi, quoique force de la nature, s’était retrouvé aux portes du cimetière, terrassé par une défaillance cardiaque. Il s’en était tiré au prix d’un pontage coronarien, d’un régime sévère et d’un mystérieux traitement imposé par sa femme, de capsules aux pépins de raisin qui promettaient la régénérescence des cellules par évacuation de leurs segments usés. A-yi en avait pris aussi, et nous avait convaincu d’en faire de même – pourquoi pas ? 

Par quel miracle, quelles amitiés, avait-elle su faire jouer une assurance médicale pour cette opération lourde, et financer l’achat de ce médicament hongkongais au coût élevé ? Toujours est-il que l’homme s’était relevé, et que si nous n’avions pas senti d’effet notable sur nous-mêmes, notre nounou avait fait gommer progressivement toutes les ridules de son visage, surprenant son monde par son rajeunissement inexplicable. Ce qui était déjà une façon bien à sa manière, de se préparer aux noces du fils !

STRATEGIE POUR UNE FIANCEE

Marier Xinlang, 30 ans, était une urgence. 

Déjà la grande famille, les voisins commençaient à cancaner : pas les moyens, ou pas envie de convoler ? Mais pour se marier, il fallait une fille et là, pas question de laisser faire la nature : mille règles socio-claniques s’appliquaient, insidieuses et tacites.

Pas moins de quatre candidates défilèrent. Les deux premières furent éliminées fissa : l’une était de  Miyun, un « trou » de 100.000 âmes à 100 km au nord de Pékin ; l’autre, de Fengtai, la zone, un arrondissement de la capitale certes, mais le moins bien famé, le plus notoirement pauvre. Et de toute manière, les deux filles étaient des « waidi », de la campagne, des migrantes dépourvues du hukou légitime. Donc, Exit. Le fiston d’ailleurs n’avait pas protesté – il savait à quoi s’en tenir. En cette gestion cruelle, la famille ne faisait que se plier aux injonctions non du Parti mais de la ville, qui n’allait pas payer pour les migrants nécessiteux, leur offrir l’hôpital, la pension, le revenu de survie et à leurs enfants, l’école gratuite de bonne qualité… Ce n’était pas dans le genre de beauté du régime, qui cultive avant tout concurrence et esprit de survie !

Une autre prétendante plus sérieuse avait été soigneusement passée à la loupe. Pas fou, c’est sur celle là que Xinlang avait misé, luivoyant de bonnes chances d’emporter l’assentiment des parents. Brigitte et moi avions d’ailleurs été consultés, gravement, comme pour l’affaire d’Etat qu’elle était, d’ailleurs. Lele était la fille d’un fonctionnaire riche et établi, de surcroît membre du Parti. S’allier à un tel clan, était le chemin le plus court vers l’establishment. Hélas, l’enfer est dans les détails : A-yi  ne nous avait pas caché son appréhension sur ce petit détail : la donzelle était coquette, attifée dernière mode et même notoirement dépensière, n’hésitant pas à claquer des milliers de yuans en un dernier nouveau jean au 3.3, le magasin à la mode sur Sanlitun. Hélas pour – elle, notre avis défavorable enterra toutes ses perspectives. Le pauvre Xinlang serait devenu le dindon de la farce, esclave enchaîné des cartes de crédit de Madame – non ! Voilà qu’à la suite des jolies campagnardes, la minette du Parti passa aux oubliettes de la préhistoire conjugale de Xinlang.

C’est alors qu’on alla repêcher Xinyang, une éliminée du premier tri. Elle était bien un peu petite et bien peu stylée – aux dires d’A-yi.  Mais à la réflexion, la masse des qualités potentielles apparurent plus qu’intéressantes, prometteuses. Jeune, 23 ans seulement : donc 7 ans de moins que le fils, un rapport idéal permettant au mari d’asseoir naturellement son ascendant. Elle n’était pas coquette certes, mais A-yi lui apprendrait à se coiffer et se vêtir : la petite découvrirait ainsi naturellement l’autorité de la belle-mère et lui obéirait – rien de perdu ! Et puis, elle au moins n’était pas dépensière, juste ce qu’il fallait. Trop courte de quelques bons centimètres ? Peu importe, les semelles compensées pallieraient ce léger handicap. A part cela, tous deux travaillaient dans la même « danwei » (unité de travail) d’informatique, donc bien assortis avec la même sécurité d’emploi et les mêmes avantages en nature (centres de vacances, primes de chunjie). Enfin cette boite d’Etat était le tremplin idéal pour entrer au Parti, mère d’avancement et de carrière. Elle était donc, tout compte fait, le parti idéal – même les familles étaient compatibles en fortune et origine. 

Au «  xianqin » (premier rendez-vous formel, piloté, en présence de la famille du fils), la petite passa le test. Aussi les palabres avec l’autre clan purent débuter. 

LES CONDITIONS DE L’ALLIANCE

Mais ce fut pour achopper vite sur un obstacle majeur : selon les règles, c’était à A-yi et à son homme de fournir le logement, les parents de Xinyang ayant la tâche bien plus légère de le meubler

Mais même en s’endettant à 30 ans, même en grattant les fonds de tiroirs de la grande famille, même pour un F2 minable de 35m2 dans une banlieue lugubre sans périph’ ni métro, on n’y arrivait pas. Les tarifs avaient explosé, quintuplé en 5 ans. Le crédit était aussi déprimé qu’un fleuve à sec dans le Gobi.

Et A-yi soupirait : « faire un enfant, en ce pays, c’est la roulette russe : si vous faites un gars, pour le marier, vous êtes bons pour 10 ans de boulot après la retraite. Tandis que toutes mes copines, qui ont une fille, ont depuis des lustres cessé de trimer. Elles se pomponnent, se pavanent et jouent les princesses ».  

Finalement, on avait transigé, entre gens raisonnables et sachant distinguer l’essentiel de l’accessoire. Le clan de A-yi paierait la voiture, dans laquelle Xinlang trimballerait Xinyang aux alentours. C’était aussi un signe de réussite sociale et instrument de prestige, qui en imposerait autant qu’un appartement. Le clan paierait encore la noce. Quant l’appart, et bien,les parents de Xinlang en avaient reçu un énorme (avec ses fidèles, le Parti sait se montrer généreux) : il suffirait d’en recouper une tranche, 40% pour la jeunesse, et le tour serait joué. Et puis en plus, qui est-ce qui pourrait revoir sa fille tous les jours, avoir la clé de son nid conjugal, tout savoir sur le jeune couple avant les autres ? La mère de la mariée, qui donc ne perdait rien au change !

LES CAMPS EN PRÉSENCE

Nous voilà donc ce dimanche 22 avril devant cet hôtel en lisière de quatrième Périph-Est. Pour dire la vérité, il n’engageait guère, amas de béton et d’asphalte mal dessiné, sans goût, suant la suffisance au petit pied dans une zone dont on devinait encore, 10 ans en arrière, les champs de choux et de navets.

L’air épais gris argent de pollution n’arrangeait rien, où se mêlaient les derniers relents des pétards que nous venions de rater – nous foulions les vestiges de petits coeurs et étoiles fluo métallisés. Au fronton pendait la banderole écarlate  promulguant la cérémonie et nous souhaitant la bienvenue. 
A-yi nous accueillit avec effusion mais discrétion dans le hall, et nous conduisit sans retard vers la salle de bal. Nous pûmes alors réaliser sur quel pied les choses avaient été réalisées – d’une pointure disproportionnée à leur fortune, mais non à leur besoin de face, ni aux exigences de cette culture. 
 
 
Dans le sens longitudinal, l’espace avait été divisé par une allée de roses et de lis blanc, bordée de rubans verts qui barraient le passage. A gauche se plaçaient les tables du clan Yang, masculin, celui de A-yi. A droite campaient les troupes Yin, l’armée de la fiancée. Chaque camp était structuré avec la même ordonnance, sans place au hasard.
Au premier rang, la table du QG des généraux, parents et grands parents. Au milieu où nous fûmes placés, une table stratégique était commandée par le beau-frère de A-yi où nous découvrîmes de proches parents et amis. A l’arrière, nous retrouvâmes sans surprise toutes les copines balnéaires de A-yi, cette fois affublées de leurs maris (cf le blog de février « A-yi à la plage »). Enfin au dernier rang, bien à l’aise loin des regards, la table des chevaux-légers qui s’amusaient le plus, celle des copains des mariés.
 
 
 
L’ATOUT DÉCISIF – LES ÉTRANGERS
 
Fort élégante, sous sa mise en plis, permanente impeccable et dans son tailleur classique rouge cerise, avec au cou un rang de perles de belle eau et en boutonnière une orchidée, A-yi et son mari nous présentèrent amis et proches. Ils nous firent connaître la mère de la mariée, qui se trouvait alors sur ses terres, envoyée en délégation pour nous rencontrer. Mais non le père, puisqu’il était resté dans les siennes. Et moins encore, quiconque du camp Yang. Ce qui était bien sûr exclu, selon les règles de la joute en cours. Ainsi, notre arrivée changeait bien les choses, comme celle de Blücher à la bataille de Waterloo. Nous étions le corps étranger, élément sacré et aliène, indomptable et inaccessible,  dans le camp Yang, handicap du Yin. D’autant que nous n’étions pas n’importe lequel étranger, mais l’employeur de A-yi, et comme l’extension de sa puissance : notre arrivée rompait l’équilibre… De plus, nos tenues renforçaient la curiosité générale, la veste blanche sur le corsage amande de Brigitte, et la cravate qu’à part le marié, j’étais le seul à porter. 
Je remarque, au passage, la négligence générale des tenues, à quelques rares exceptions près. La noce était bien mal nippée, en jeans, T-shirts, jerseys de synthétique démocratique et sans souci d’apparaître ni de plaire.
 
Tout cela pour vous dire que le clan d’en face, oeil en biais, ne perdait pas une touche du show. Ainsi s’ouvrait la fête, et nous donnait l’image d’un mariage à la chinoise, à finalité économique, visant la production de valeur ajoutée : celle d’un héritier, celle d’acquisition de pouvoir. Elle comportait bien sûr le risque d’oubli de l’autre valeur désirable dans l’union d’un homme et d’une femme : celui d’oubli des valeurs sentimentales, du soutien mutuel, de la reconnaissance des qualités morales de l’autre – de l’impondérable qui pour l’instant en Chine, compte pour rien. 
Le risque a été identifié et dénoncé en 2006 par Liu Xin, artiste cantonais qui prétendit porter cette logique malsaine jusqu’au bout. Sur l’île de Canton, proche de la capitale méridionale, Liu s’était marié en grande pompe avec lui-même, ou plutôt avec sa propre photo grandeur nature, déguisé en fille. Il avait expliqué qu’il avait trouvé, dans la JV du mariage, la manière ultime d’éliminer le risque sur investissement qu’apportait la présence de l’autre, de l’inconnu: faire de l’union des coeurs celle d’un seul porte-feuilles, un court-circuit. Hélas à l’époque, la démarche faite pour faire réfléchir, n’avait fait qu’amuser.
Pour clore cette première partie, un petit jeu : le numéro de la semaine du Vent de la Chine offert au lecteur qui pourra nous donner le coût total de ce mariage (ou celui qui s’en rapprochera le plus !).
A vos calculettes !

 

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  1. Sophie

    y compris les costumes des mariés? Rien que pour le banquet de mariage, je parie sur un coût de 54000rmb (l’estimation est difficile ne sachant pas combien de tables y étaient présentes).

  2. Bertrand

     Aucune idée… en France ça reviendrait très très cher (bien plus qu’en Chine à mon avis) mais même en Chine ça doit représenter une sacrée somme… que j’aimerai bien connaitre !

  3. conseil chine

    Etant une élève chinoise, j’ai vu qu’il y a beaucoup de différences entre des deux mariages en Chine et en France. D’abord, dans la cérémonie, des invisités chinois n’ont pas besoin de porter des vêtements très formelles. Mais en France, c’est vraiment différent. Et de plus, j’ai entendu que sur le marché chinois, des jeunes couples dépensent en moyen 50 mille yuan ou beaucoup plus.

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