La semaine dernière, nous étions au Rugby Sevens, de Hong Kong (23-25 mars). Y participer, c’est d’abord bien sûr célébrer Hong Kong, ce petit miracle osmose de technologie européenne et d’une Chine disciplinée. D’organisation humaniste, raisonnée, optimale. D’intelligence et d’éducation. De développement abouti. Le HK Stadium, est très bien (re)-fait, à l’audacieux design serti dans son écrin de falaises, aux deux arceaux de béton supportant les tribunes.
Les 40.000 places étaient complètes. Le samedi soir, grand nombre de gens à l’extérieur restaient plantés, un panneau en main, dans l’espoir illusoire de racheter à prix d’or une entrée pour la finale du dimanche. D’ailleurs, les contrôles surprises avaient permis de débusquer 350 faux billets: les malheureuses victimes, se retrouvaient dehors, non remboursés, avec pour tout potage le supplice de Tantale des rugissements de la foule qui suivait l’action et ses émotions sauvages, bien au chaud dans le paradis des gradins de béton.
A l’intérieur, la foule était à 70% étrangère. Ce qui ne plaide pas fort en faveur de l’intégration sino(HK)-européenne, après 150 ans de partage du Rocher et de coexistence. Le rugby reste, malgré tout, une affaire occidentale, même si la ville revendique son patrimoine rugbystique, et son monopole régional sur ce sport.
Pour le reste, quelle ferveur ! Outre le bouquet des meilleures équipes du monde, le HK Seven accumulait 240 équipes scolaires, régionales, venues de toutes l’Asie. Le plaisir tenait aussi aux règles de ce rugby à 7, différentes de celui à quinze, plus léger, bondissant et spectaculaire. Les défenses y sont plus rapidement percées, faute de lignes arrière suffisantes. La mêlée est moins fréquente. Je n’ai pas vu un seul drop goal, quoiqu’il demeure autorisé en ce rugby à 7. Il est sans doute moins rentable. Plus individuel et panaché, le jeu consiste en des passes plus longues (pour suppléer au manque de joueurs intermédiaires), et en une course à très forte alternance de rythme, sautillant, s’arrêtant, faisant demi-tour voire même marche arrière, toutes ruses pour éviter le poursuivant et quand contact il y a, se dégager. Une fois la défense percée, on traverse le terrain à la vitesse d’un 100m, éventuellement bifurquant ou interrompant la course si l’on voit que l’on va être rattrapé. A ce jeu, le score se charge très vite, et la chance change vite de camp, d’autant que les parties sont très courtes, avec des mi-temps de 7 minutes, le maximum que puissent tenir les joueurs à ce rythme infernal. J’ai ainsi vu l’équipe de France qui menait 12 à zéro à notre arrivée, se faire rosser pour perdre sur le fil sept minutes plus tard, 12 à 14 contre l’Ecosse, la différence tenant à une transformation ratée.
Nous étions au centre d’une des deux tribunes, donc à égale distance des deux lignes de but, avec vision intégrale. L’alcool coulait à flot, « Pimms » chez les britanniques (un genre de sangria à l’alcool blanc dilué, spécialement redoutable) assaisonné de « steak & kidney pie », Bordeaux et petits fours au stand de la BNP, bière pour tous les autres. Ces rafraichissements étaient gratuits et à volonté dans les zones invitées. Des jeunes serveuses déambulaient, d’immenses brocs à bout de bras pour sustenter les spectateurs – leur promptitude à resservir, faisait soupçonner une prime sur chaque cruche vidée.
Clips musicaux de rock’n roll de 30 ans d’âge, pompom girls, rien ne manquait. Apparemment, les endroits où l’on s’amusait le plus, était le bout de terrain, travée sud : momies égyptiennes, centurions romains, sumos japonais, soldats napoléoniens, ou encore travestis, chapeaux ridicules, et bien sûr les maquillages aux drapeaux nationaux, c’est là que fleurissaient les déguisements les plus fous, des sorties d’entreprises à celles de classes scolaires.
Les matches défilaient vifs, à trois par heure. Nous regardions, parfois dansions sous le soleil, d’images, de musique et de boisson. Les athlètes marquaient leurs points et zigzaguaient. La police, bon enfant, surveillait mais tout le monde était bien élevé. L’ambiance était familiale. En deux jours, pas un seul incident violent, peut-être même pas même un seul larcin ne fut à déplorer.
Les équipes venaient de toute la Terre, à commencer par celle de Hong Kong composée d’expats et d’ardents jeunes insulaires, ou celle de la Chine aux ailiers universitaires (agronomes) et aux piliers militaires – le ballon ovale reste une affaire encore récente, expérimentale, à ses premiers vagissements en ce pays.
Surprise : à ce rugby à 7, les valeurs les plus confirmées, sont celles qui ont le plus souffert. La France n’a pas gagné un seul match, quoique comptant dans son équipe des noms prestigieux comme celui de Camberabero dont le grand-père, aux années ’80, remporta plusieurs Tournois des 5 nations. L’Angleterre, valeureuse, n’arriva pas en finale. Mais des équipes encore peu connues se firent remarquer par leur verve, comme le Portugal ou l’Espagne, voire la Russie, les USA, le Kenya ou le Japon. D’autres nations confirmées occupèrent le haut du plateau, sans pour autant gagner : Argentine, Afrique du Sud, Australie et Nouvelle Zélande qui elle, finaliste, sut maintenir sa réputation de panache et de brillance, de technique, combativité et valeur athlétique. En définitive, les plus brillants furent les minuscules nations insulaires de l’hémisphère sud : Samoa Tonga, et surtout Fidji, vainqueur du trophée, dont les hommes gigantesques et surpuissants s’imposèrent sans difficulté aux All Blacks.
Fidji Vainqueur de la Nouvelle Zelande 35 à 28, et remporte le 13eme titre du Cathay Pacific/HSBC Rugby Hong Kong Sevens 2012
En Chine pendant ce temps, l’équipe au sommet de l’affiche se livrait à un match passionnant d’une variante de ce sport, dit le « Rugby à huit », sous la règle inventée 30 ans en arrière par l’arbitre Deng. Impossible à suivre en matière politique, ce jeu sportif devenait simple et limpide, une fois observé à travers les lunettes du ballon ovale !
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Sur le terrain pékinois, l’autre fête battait son plein, celle du rugby local, sous la règle inventée et définie par le patriarche trente ans en arrière.
Au contraire des huit immortels qui jouaient à l’époque, aux cheveux blanchis par les années, nos joueurs présentaient des crinières fournies, dont le noir de jais devait beaucoup à la teinture.
Les « crabes harmonieux » tenants du titre, en damiers roses et gris, se mesuraient aux « Yangtzé boys », challengers de Chongqing et de Shanghai en tunique rouge à pois vert.
Hu passait en retrait à Wen, qui passait à Wu, qui transmettait à Huang, lequel se faisait « piquer » la balle sur coup de pied à suivre par Jiang, qui passait à Zeng, lequel à Bo, lequel soudain faisait une manœuvre imprévue, s’arrêtant en plein terrain, oscillant le ballon à bout de bras pour commander à ses supporters un gigantesque et majestueux chant révolutionnaire. Fort choqué par le style plus que par la ligne politique proprement dite, Xi, le futur capitaine des Crabes, fonçait pour le terrasser – balle sortie de la mêlée ouverte par Wang, qui lui aussi agacé par le jeu de Bo, fit à son tour un geste que personne n’attendait.
En principe, c’est vers la ligne de but adverse que l’on converge, pour marquer le point. Mais Wang prit une ligne perpendiculaire, sortant du terrain pour aller déposer le ballon entre les deux poteaux du match sur le terrain d’à côté : les joueurs américains qui s’y produisaient furent si médusés qu’ils mirent très longtemps à prier Wang de retourner sur son terrain. Ils en oublièrent même de lui rendre son ballon…
De tels dérèglements ne pouvaient rester impunis : l’arbitre brandit un carton rouge à Wang, et un autre à Bo, par la mimique de qui tout avait commencé. Forçant ainsi les deux joueurs à se retirer, pour que le jeu reparte d’un bon pied.
Depuis l’expulsion de leur capitaine, les supporters du Yangtzé, avaient été réduits au silence – fini, les joyeux chants. Le seul bruit subsistant, pour un instant, étant les petits « touittt –touitt » des crickets et grillons sur le gazon, relatant les incidents bizarres qui se succédaient sans interruption.
Il y avait eu ce grand blond étranger, un anglais semble-t’il, trop bavard peut-être, pas assez concentré sur son jeu : plaqué très fort par une joueuse des Yangtzé boys, il devait être sorti sur une civière, sa plaie cautérisée illico.
Il y avait aussi les affaires des fils de Bo et de Jia, tous deux en équipe juniors, tous deux portant le maillot de la scuderia Ferrari – suite à un choc métallique, le petit Jia avait dû être évacué aux petites heures, inanimé sur un brancard.
Et puis le joueur Xu, de Dalian, prenait à son tour un carton rouge et disparaissait, supposément pour avoir payé le prof de rugby au petit Bo junior…
« Baliverne que tout cela », s’exaspéra le spectateur étranger, n’y comprenant plus rien. Le Chinois lui, savait faire mieux que protester. Il se répétait subrepticement ce message retransmis par les gais pépiements des oiseaux du terrain, le touitt-touitt qui rappelait la règle fondamentale du rugby à huit, la seule véritable constitution du pays, héritage du patriarche : « nous respectons vos enfants, vous respectez les nôtres ».
Autrement dit, les Crabes harmonieux, tenants du titre, n’avaient jamais vraiment vu leur supériorité menacée et tenaient le terrain en main depuis longtemps. Dans les vestiaires, quelqu’un était en train de presser Bo d’accepter non plus désormais une sélection pour la saison prochaine (le mal fait n’était plus rattrapable), mais une bonne petite position de potiche en Fédération nationale, lui permettant d’assister à tous les matches futurs, dans la tribune d’honneur. Et si ça n’était pas le Pérou qu’il escomptait, c’était quand même la vie qui continuait.
Et c’est dans cette ambiance de rugby à huit que les Chinois prenaient un plaisir différent, ni moins intense, ni moins efficace que celui à sept des Hongkongais : à chacun son ovalie !
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bertrand
5 avril 2012 à 17:44Quel plaisir de te lire, Eric ! Métaphore d’artiste.
Josianne Bouinot
12 avril 2012 à 04:01J’adore recevoir votre lettre Vent de la Chine.
Votre plume me régale avec ses actualités….
De Montréal
Josianne B
Jean S.
12 avril 2012 à 12:12Un grand bravo à notre Voltaire du rideau de bambous qui transmute l’actualité politique chinoise en passes d’escrime ballistique. On entend déjà le sifflement de l’ultime balle du match s’enfonçant dans le chef du bo capitaine de l’équipe perdante avant que celui-ci ne s’incline pour l’éternité devant les vainqueurs de la lutte rugbystique finale.
BOURRIER Patrick
19 avril 2012 à 16:47Tu ravives quelques souvenirs radieux à tous ceux qui, quel que soit le temps plus ou moins long qu’ils aient passé à « miracle Hong Kong »,ont suivi avec plaisir et ferveur les matches des Rugby 7 sur les collines de l’île Victoriza, Eric! Merci pour cette cuvée 2012.
Patrick