Blog : A-yi à la plage

Grande nouvelle, admirable pour son héroïne, joie pour presque tous – à de rares exceptions,dont font partie nos papilles- A-yi s’en est allée respirer l’air marin, iodé des plages de Sanya, dans l’île tropicale de Hainan ( la coqueluche de tout Pékin qui y a acheté un appart), sous des 
« Cieux toujours bleus,  Des pays imbéciles,  Où jamais il ne pleut »(Brassens)

<p>Elle a commencé par demander la
permission. Elle l’a fait à la chinoise, tout en douceur et en psychologie, avec un maximum de chances de réussir, sous un summum de conditions favorables (a-t-elle sollicité les services d’un prêtre taoïste ? D’un maître de fengshui ?), gentiment, au bon moment (un moment de calme), et à la bonne personne – la maîtresse de maison. 

La suite des préparatifs, j’en sais bien peu de choses – notre a-yi est une femme discrète. Quels vêtements emporter, quel maillot acheter, quelle gym préparatoire faire, quel régime suivre…?

C’était une affaire remarquable sous divers aspects, une qui vous arrive une fois par vie, et que vous n’oubliez plus jamais.

D’ailleurs, je l’avais décrite comme géniale pour tous, sauf un petit nombre : à commencer par son mari. Car lui n’est pas de la fête, laissé pour compte à la maison. Mais est-ce bien pour l’un et l’autre une perte ? Car l’autre jour, quand elle avait concocté la confiture d’agrumes que je lui ai enseignée, nous l’avions trouvée si bonne et fraîche, si fragrante dans sa douce amertume, que je lui avais déclaré, vieille scie, que sa production était de nature à rendre son mari désireux de l’épouser encore. Suite à quoi elle m’avait fait cette réponse un peu simple et directe, à la manière chinoise d’appeler un chat un chat : « oh lui, ca fait longtemps qu’il ne m’aime plus ». Mais allez savoir ? Cela pourrait être de la fausse pudibonderie, d’un couple conservant un trésor à l’abri des autres. Partout sur Terre, règne l’adage, « vivons heureux, vivons caché ». 

Mais alors, me direz-vous, si la A–yi s’envole pour Hainan, sans son mari et sans nous, 5 jours pleins, avec qui donc ? Et bien c’est là toute l’affaire : elle s’en va, tenez-vous bien, avec 20 anciennes camarades de classe, toutes des filles, qui se sont retrouvées, l’une puis l’autre, puis la troisième et ainsi de suite, perles du collier de leur jeunesse, genre « copains d’alors ». Elles se sont mis plusieurs à chercher des pistes pour des offres et des agences. Partant à 20 (moutards, et maris interdits), et juste après le Chunjie (nouvel an lunaire), c’est-à-dire dans les plus basses eaux touristiques de l’année, l’offre devait être bonne – on me parle malgré tout de 5000 yuans par personne, tout compris, en hôtel quatre étoiles. Cela donnerait donc 20 copines de jeunesse, issues de l’ère où le niveau scolaire laissait à désirer (écoles, universités avaient été fermées durant 10 ans), à l’époque 20 filles en fleurs, à prendre et cherchant un homme, carrière à faire. 

 
 

40 ans plus tard, la jeunesse partie, l’enfant grandi. La beauté et la fraîcheur dissipée. Sauf que notre A-yi, qui a plus d’un tour dans son sac, se soigne au macro-bio, et y fait passer une part de son salaire dans des gélules miracles. Il y a deux ans, c’était des produits de Hong Kong a base de pépins de raisin qui promettait de vous nettoyer les cellules, et de ralentir les erreurs de reprogrammation qui vous mènent droit au cancer. Aujourd’hui, elle est passée à un produit au ginseng, qui vous refait la peau de pêche  votre adolescence. Mais je dois dire que son produit de pépins, nous l’avions essayé, et sans nous en plaindre. Pour son âge proche de la soixantaine, notre A-yi a la mine bien plus fraîche et en meilleure santé que la plupart des amies de sa génération. Mieux encore, il se peut que, par le premier produit, elle ait sauvé la vie de son mari, lequel avait dû subir en urgence un pontage coronarien, De passage à la maison, il y a deux mois, il était fort comme un roc et souriant, portant un distributeur d’eau en bonbonne, grand format, sans peine ! 

 
 
Une fois l’école terminée à 16 ans, notre A-yi s’était retrouvée dans ces usines aujourd’hui fermées, offertes à Pékin par l’Allemagne de l’Est, du complexe d’électronique de Dashanzi sur la route de l’aéroport. Elles sont aujourd’hui reconverties en centre de galeries et de musées sous le nom original de « n°798 » – dans la halle principale, sur le demi-voûtain en pergola du plafond demeure le slogan de la Révo’Cul écarlate  à demi-effacé, «  伟大的领袖毛主席万岁  » (« 10.000 années à l’important président Mao Zedong »). 
 
Comment passe-t-on donc d’un diplôme scolaire à un travail d’ouvrière ? Et d’un ouvrage à la machine, à une condition de femme de ménage pour étrangers ? Nous n’étions pas ses premiers employeurs dans ce dernier métier. Elle avait eu d’abord un foyer chinois de personnes âgées, dont elle ne nous parla jamais. 
 
En tout cas, c’était pour elle aussi, je crois, son premier voyage sans mari, depuis leur mariage 30 ans en arrière. Et c’était aussi son baptême de l’air, la première fois qu’elle se retrouverait détachée, clivée de la Terre, transportée plus haut que les nuages. Banalité pour nous, mais pour elle, l’émerveillement…à quelle heure arriver à l’aeroport, comment s’y rendre? ferait-il froid dans l’avion ? Aurait-elle droit à un repas, ou devrait-elle dejeuner à l’aéroport avant ? 

Elle qui, depuis 10 ans, voyait ses patrons disparaître régulièrement, direction l’aéroport, sujet d’admiration sans borne, voilà que c’était son tour à présent de nous planter là. Fierté et inquiétude à la fois, y compris la petite peur de perdre la face, par un comportement pas « à la hauteur » (si l’on peut dire…) 

Et c’est pourquoi Brigitte, qui a de l’intuition pour ces choses là, lui faisait ses recommandations la veille du départ, lui suggérant de ne pas transporter de liquides dans l’avion (seulement en soute.. et il y en aurait !), choisir tels vêtements, tel comportement à la plage… Tout en lui recommandant bien, comme à notre fille, de nous appeler, une fois franchi le guichet de check-in. Ce qu’elle ne manqua pas de faire le lendemain, un peu inquiète, mais qui n’aurait cédé sa place à personne, pour rien au monde. 
 
 
 

A-yi était arrivée dans notre maison et notre vie 10 ans en arrière, recrutée sur petite annonce. Elle avait absolument besoin du job, et redoutant de ne pas faire l’affaire, tremblait dans le vestibule, gauche et n’osant parler. Mes premiers mots avaient été « asseyez- vous, détendez-vous. Ici, vous pouvez commencer à le faire. Pas d’inquiétude, vous êtes ici chez vous ». Cela l’avait frappée. Les palabres avaient encore achoppé sur son refus momentané de nous faire la cuisine, ce qui était pour nous indispensable, avec nos enfants à l’école française, revenant déjeuner. Mais nous avions tout de suite senti que la réticence ne cachait qu’une inexpérience, et une crainte de ne pas y parvenir. Elle avait accepté d’essayer. Par la suite, au fil des mois et des ans, je lui avais expliqué et enseigné quelques plats, le pain, les lasagnes, la quiche, le chou farci, le hachis Parmentier, le houmous et bien d’autres. Nous avions fait ensemble une bonne équipe.

Ce qui vous elucide l’idée évoquée en début de ce blog, d’un petit groupe de perdants dans ce voyage. A part le mari, les perdants étaient nos papilles. Car depuis lors, A-yi est devenue maître-queue émérite, battant n’importe quel gâte sauce dans l’exécution de ses plats, qui nous manqueraient dès lors, nous faisant compter les jours jusqu’à son retour. Mais avant de partir, non sans magnanimité, notre a-yi nous a encore mijoté une quiche aux champignons, aux épinards et au lard fumé, savamment gratinée, ainsi qu’un plat de poivrons à la catalane, grillés au four, pelés puis marinés à l’huile d’olive avant de se faire un jour ou deux au réfrigérateur. Nous les consommons en canapés sur du pain noir à grain complet, allemand dit « Pumpernickel ». Déjà goûté ?

Et savez-vous d’où vient le nom ? 

Il vient, dit-on, de Napoléon arrivant à cheval dans une petite ville de Bavière, qui avait  exprimé une faim impérieuse : du hucher du paysan, on lui avait sorti ce qu’il y avait, ce lourd pain noir. Que l’empereur avait goûté du bout des dents, avant de le jeter à sa monture, avec ces mots pour tout commentaire, « bon pour Nickel », ce qui était le nom du canasson. 

Et voilà comment je vous pose ma devinette du jour : quelle était la couleur du cheval de Napoléon ? (ceux qui trouveront, auront comme d’habitude leur copie du Vent de la Chine – à condition, dans leur réponse, de laisser leur adresse, bien sûr !

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  1. bertrand

    Nickel : Un pur sang arabe à robe grise métallique, offert par le sultan de Russie à Napoléon en 1805.

    Tous les chevaux de Napoléon étaient gris, du gris fleur de pêcher presque blanche, au gris cendré, gris sale, gris truité, gris fer ou gris vineux, ou encore gris pommelé, gris souris et gris étourneau.

  2. Maria

    Gris clair. A ce que j’ai lu ( pour obtenir un no de votre revue) tous les chevaux de Napoleon ont été gris.

    D’où la boutade: Quelle était la couleur grise du cheval de Napoleon?

    Merci d’avance pour la revue. Merci aussi pour les lectures hebdomadaires de votre revue offertes par e- mail. Je les partage d’ailleurs avec des copains après les avoir traduit en roumain.

     

  3. avocat

     Tout d’abord je suis heureuse de découvrir votre blog. Réponse à votre question : La couleur du cheval de Naoléon est blanc ! A bientôt 🙂

  4. reinhold

    je dirai « blanc » !!!

    Passionnant vos articles (transmis je dois le dire par un « collègue en Association » !)

    Béatrice

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