Longuement savourées, vite oubliées, ces vacances. Temps d’un autre temps, celui où l’on ne regarde plus sa montre et où l’on ne téléphone plus, temps de revoir la famille, les amis : un an de recharge des batteries affectives et aussi culturelles –car c’est aussi le temps de retourner dans notre culture à nous, de nous y baigner avec reconnaissance et nostalgie – ce qui n’empêche pas, comme vous avez pu voir dans les pages précédentes, une observation amicale et minutieuse, un recensement de ses expressions nouvelles (« y a pas d’souci », « ça m’a tué », etc), et de ses manières d’être inédites.
Temps aussi d’embrasser les enfants qui eux, sont rentrés en France, l’ont apprise par coeur, et en repartent déjà pour d’autres rivages, d’autres destinées. Cet été, nous les avons accompagnés et soutenus dans leur solitude du coureur de fond, aux études, à l’aube d’un métier, d’une vocation qui se cherche, d’aventures chargées de chances et de risques.
Retour maison Pékin
Et puis c’est l’avion vers la Chine, une fois de plus. C’est comme un vieux licou que l’on décroche du clou pour s’arnacher soi même, pour se remettre en chemin vers notre aventure à nous, la vieille aventure de la vie chinoise qui se poursuit, aussi fraîche qu’au premier jour. Après le bonheur de la France et des autres pays visités cet été, succède celui de Pékin, la revoyure de tant d’amis anciens et nouveaux – car Pékin est, bien plus que d’autres, un carrefour où tant de gens énergiques passent et se retrouvent, ou découvrent. Nous nous rassayons à nos bureaux, derrière nos écrans. Les affaires reprennent et se pressent, articles, conférences, et même ce blog. Le climat très chaud ne va pas tarder à se raffraichir, cisaillé jour après jour par des averses. Le ciel reste toujours argenté de particules qui réfléchissent le chaud et l’humide, tout en tapissant nos gorges et nos poumons. Le bon vieux marché de San Yuan Li, toujours si bel et avenant, nous surprend par ses prix tous neufs, qui caracolent en hennissant. Je découvre ébahi des étiquettes triples de l’an passé, pour les champignons à 18 yuans la livre. Le client se fait rare. Etranger mis à part, il est absent, ou bien n’achète que du bout des lèvres, en quantités homéopathiques, souffreteux du porte-monnaie, tandis que les commerçants nous interpellent plus que jamais, implorants et gouailleurs : « pengyou, pengyou » (« ami, ami »).
Embouteillages
Comme par effet de contradiction ou de vases communicants, les rues elles sont toujours plus coagulées de trafic, pare-choc contre pare-choc. Même le vélo commence à avoir du mal à sa faufiler (comme je fais toujours, au péril de ma vie) entre les files de véhicules. Le chauffeur Chinois se lâche, apprend à s’exprimer et prendre conscience de sa propre existence – il naît, au fond, symboliquement, en jouant du klaxon, à longues volées sado-masochistes, sans aucune utilité pour débloquer son embouteillage. Il y a tant de véhicules désormais dans cette malheureuse capitale, contribuant hardiment à sa lutte de pollution finale, que le citoyen perd désormais des heures par jour, au volant, à sa fatiguer et brûler son carburant du matin (passés 5h) à la nuit (jusqu’à une heure).
Au point que ce matin, l’Etat chinois publie cette nouvelle extraordinaire: son nouveau mot d’ordre, désormais, sera de dissuader le pékin moyen d’acheter des voitures. Alors que l’an dernier encore, il était à subventionner, en Milliards d’euros, l’achat de véhicules pour soutenir son secteur productif… Si ce n’est pas cela, tenter de boucher le tonneau des Danaïdes, tout en ânonnant à perdre haleine, tel un mantra antique, « timeo Danaos et dona ferentes » (je crains les Danaïdes et leurs cadeaux empoisonnés » (les Danaïdes, en ce cas, étant l’Occident, qui débarqua avec ses usines automobiles, excitant l’envie de suivre leur modèle)… Car le poison n’est pas que le bouchon : il est aussi la pollution, les morts sur la route qui pourraient être 200000 ou plus par an, la majorité entre 20 et 69 ans, tous des travailleurs, dont les familles à charge ont de bonne chance de sombrer dans la misère et être privées d’avenir. Le nombre de victimes est un genre de secret d’Etat. Le chiffre officiel des morts, victime de trop de manipes intermédiaire, est de 63000 – totalement incrédible. Le chiffre des accidents officiels est de 3,9 million lan dernier, et plus 36%. L’Etat doit aussi lutter contre la mauvaise qualité des voitures locales non testées ni passées par un bureau d’études, et en tôle « papier à cigarettes », et contre les imports de carburant, qui au prix actuel et de demain, ne sont pas une solution durable… On comprend que, non sans courage, il préfère saisir le taureau par les cornes, tant qu’il en est encore capable !
Huanghuacheng, La Grande Muraille près du lac
La semaine passée, nous sommes retournés à Huanghuacheng, « la muraille de la Chine jaune ». Personne ne m’a encore expliqué le pourquoi de ce nom. Les économistes distinguent
-la Chine « Jaune »
– et la Chine « Bleue » de la côte qui a toutes ces bonnes choses, les lumières, les autoroutes, l’irrigation, les canaux, les aciéries sur l’eau, les TGV.
Ici pourtant à Huanghuacheng, la Chine n’a rien de jaune, mais est bleue (quand elle ne pense pas à être verte) avec son lac de sa retenue, étant un des réservoirs d’eau potable de Pékin. 10 ans en arrière, l’endroit était plus aride et désert. nous nous y baignions, ce qui est aujourd’hui impensable. Ce même privilège a disparu, concernant les barbecues, que nous allumions en toute circonstance, sans égard pour les panneaux qui nous l’interdisaient. Il faut dire que nous en avions une excellente pratique, et ne faisions jamais de feu que nous n’aurions pu contrôler et éteindre en cas d’urgence. Nous usâmes immodérément durant de longues années, capables même d’en faire, sans fumée et presque sans flammes, à la barbe des gardiens qu’on nous envoyais pour nous surveiller.
Aujourd’hui, l’interdiction est rigoureuse et de toute manière, les masses visiteuses sont bient trop abondantes pour que nous puissions en rêver même. Idem, la guinguette que nous avions vue bâtir, dont le personnel était si gentil et avenant, s’est muée en un monstre métallique et arrogant, blasé et lassé de tant de flux de visiteurs. Depuis derrière sa caisse électronique (d’occasion, à ce que je crois reconnaître), la gamine me toise de très haut, et comme fatiguée de l’effort de me répondre, prétend me facturer le thermos d’eau chaude, pour le café, à 20 yuans, consigne non comprise.
Mais ces misères mises à part, qui sont le produit résiduel d’un développement fulgurant et non maîtrisé, l’essentiel est ailleurs.
Jamais cette vallée n’a été si belle. Sous de nombreuses pluies de l’été, le réservoir s’est retrouvé plein à ras bord, lui que nous connaissions toujours déprimé avec 5 à 10 m en dessous de la cote maximale. La végétation est riche, d’un vert presque irlandais, avec une foliation et des fleurs infiniment abondantes et variées. Le lac se visite par les deux bords, en suivant un sentier très bien tenu, sautant par dessus les précipices et les falaises par des ponts de singe, tremblant et vibrant sous nos pas.
Passé à 34 yuans, le droit d’entrée (qui n’existait pas quand nous découvrîmes l’endroit) a été utilisé pour tracer des chemins de galet proprement maçonnés, jusqu’à très loin dans l’arrière pays – à vrai dire, nous n’en avons jamais vu le bout encore. Et surtout, au point où nous croisons la Muraille, un panneau déclare pudiquement qu’elle n’est pas ouverte au public, et les premiers mètres d’escalade à 45°sont menaçants, à dessein pour nous décourager.
Mais pour quiconque, comme nous, a franchi cette brève épreuve comminatoire, une muraille entièrement et parfaitement restaurée s’offre sous ses pas, toutes les marches en place, en belle brique grise dallée. Même les gargouilles, style « notre dame de Paris » sont au rendez vous, prêtes à pisser leur pluie par une meurtrière à travers la paroi. Seule manque la rembarde. Les 15 minutes de chemin de retour jusqu’au barrage, nous réservent une des plus belles visions qui soit données en Chine, sur le lac, les montagnes vertes, le village au loin – je vous en laisse ci-bas quelques souvenirs. Le travail a été réalisé, évidemment par le village, mais aussi, vu la qualité du travail et sa « conceptualisation » (l’accès, l’affichage) par l’Etat. Ce qui est curieux, est que ce lourd sacrifice, aujourd’hui, reste officiellement inaccessible. Et pourtant, en toute subtilité asiatique, nos hôtes se sont gardés d’interdire son entrée. Ils ont simplement dégagé leur responsabilité.
Il y a là bien sûr une énigme qui va bientôt se résoudre. Aucun doute que la Muraille de Huanghuacheng sera bientôt ouverte, moyennant une taxe supplémentaire. Qu’elle deviendra un des plus beaux monuments de Pékin. Avec hôtels 5 étoiles, peut-être, téléphériques, restaus-panoramiques et tout le tintouin. L’ouvrage vit ses derniers jours de splendide isolement. Mais ce que moi, j’en retiens, est la capacité imprévisible 10 ans plus tôt, de la Chine a faire les choses avec grâce, style, élégamment. D’après les premiers pas de cette restauration, on croit voir une étape nouvelle dans le tourisme éco-rural : dépassant les erreurs commises à Badaling ou Jinshanling, d’un tourisme de masse et foire du trône, Huanghuacheng garde ses chances du tourisme reculé, exigent sur la forme et le calme, fait pour l’agrément d’un petit nombre, plutôt que le débit insensé de foules.
Voici quelques photos à vous faire prtager – à bientôt !
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