Bonjour,
Ce matin, sous un ciel radieux pékinois, nous sommes partis nous aérer une heure au parc « de l’unité » (Tuanjie hu), à dix minutes de chez nous. Histoire de préparer nos corps au voyage en avion qui nous attend – pour la France – sage précaution.
Le spectacle du parc est désormais familier, et pourtant toujours nouveau par son microcosme explosant de vie, d’énergie.
C’est l’autoroute du parc, avec comme sur une chaussée, tous ces piétons sagement en marche en deux voies de circulation, à l’exception des immobiles, sur les côtés ou assis sur les bancs. On notait la promiscuité de ces populations en grand nombre et dense, et facilement déprimée par la loi du nombre, mais ce matin, complice, bon enfant, prête à se pardonner bien des choses.
Les grand-mères aux poussettes et tous petits. Les vieillards aux fauteuils roulants, peut-être directement sortis de l’hôpital Chaoyang voisin. Les artistes calligraphes de l’éphémère, avec leurs seaux d’eau (encre, matière première) recyclés à partir de pots de peinture « Dulux » et leurs pinceaux de mousse emmanchés sur des bâtons d’un mètre de long. Le trompettiste et le crieur solitaires, les clubs en tout genre (chanteurs d’opéra et joueurs de er-hu, danseurs aux raquettes avec balle de mousse), athlètes de tous âges et poils, frappeurs de leurs poignets ou de leur échine contre un arbre.
Brillaient par leur absence les amoureux – ce n’était pas leur heure – je leur souhaitais, en place de ce parc, quelque bon lit moelleux.
J’ai aussi tâté du petit parc de gym aux machines de musculation et d’assouplissement, d’une grande variété d’équipements, mais en même temps très simples et solides, faites pour résister aux outrages du temps en plein air : un parc aux origines peu connues, datant de 1999.
C’était un investissement politique décidé au plus haut niveau et en urgence : destiné à compenser, pour les vieillards, leur club du Falungong qui venait d’être déclaré ennemi public n°1. Car le Falungong, qui a son apogée, prétendait à une paroisse de 100 millions d’âmes, avait réussi cette ascension vertigineuse en un couple d’années, avant tout en réunissant les vieux dans les parcs, et en leur offrant ce qui leur manquait : une gym du corps et de l’âme, une prévention des maladies, à ces vieux corps usés et privés de pension comme d’assurance sociale. L’opération « parcs publics » avait parfaitement marché, dotant la Chine entière de lieux d’entretien physique qui n’existaient pas avant, et de plus, créant des dizaines de milliers d’emploi et une nouvelle filière d’exportation aux prix imbattables…
Sur la tour du Journal de la jeunesse, au bord du parc, une surprise nous attentait. Un calicot de belle taille, 200m² peut être, déclarait, en une forme de logo : 30 年复刊 – san shi nian fu kan, « 30 ans de retour à la publication ». « Les deux derniers caractères suffisaient », remarqua Brigitte, à résumer et suggérer toute l’histoire de ce groupe, fermé durant la révolution culturelle par Mao qui avait tout intérêt à brider le nombre des médias, plus particulièrement les plus jeunes et turbulents, et donc rouvert par Deng en 1981.
Cette formule étant là pour nous rappeler la force expressive, la concentration analytique de cette langue chinoise, capable de tant de sens en si peu d’espace. C’est pourquoi aussi weibo, le twitter chinois a sans doute plus d’avenir que son frère américain : tous deux limitent à 140 le nombre des caractères par message de ces miniblogs envoyés sur la toile à destination de la terre entière, bouteille à la mer que chacun peut récupérer suivant ses affinités, en programmant des mots clés de recherche.
La suite du message de ce journal de la jeunesse était également forte : « « 三十而立, 我们的共同成长 sanshi’erli womende gongtong chengzhang », soit « 30 ans, l’âge de la plénitude, et 30 ans passés à grandir ensemble » : c’est évidemment un message publicitaire, fortement idéaliste et opportuniste en même temps, mais en même temps, je ne peux m’empêcher d’y voir un air sympa et attachant, suggérant un genre de pose, de moment du bilan pour toute une société, et un regard heureux sur sa solidarité (son sentiment d’appartenance) et sur les progrès accomplis, les richesses engrangées.
A propos de richesses, j’accompagnais hier Begoña, amie barcelonaise ancienne de Pékin, ainsi que ses filles, à une quelconque administration de quartier. Derrière le guichet, une femme, tristounette d’être de corvée le dimanche dans un bureau sévère et désespérant de manque d’inspiration, mais elle nous accueillit néanmoins avec courtoisie et correction. Pendant qu’elle et mes amies accomplissaient la démarche, j’observai dans un coin du bureau, sous l’atmosphère étouffante de ce Pékin en été, quelques articles déposés là, en attente, à savoir un sac de 5kg de farine et un pack de 24 boites de coca.
Nous étions le 3 juillet : je pus fort bien reconstituer la partie manquante de la saynète : avant d’entamer son travail, l’employée municipale, était passée à la danwei (l’unité de travail) pour récupérer son salaire en nature. Autrefois, ce don de denrées était beaucoup plus important, et les gens sortaient à chaque fin du mois pour faire la queue dans la rue devant un petit guichet, avec en main leur carte de rationnement. Ils arrivaient, qui avec sa bouteille vide (pour se la faire remplir, à l’entonnoir, d’huile de sésame), qui avec son sac à farine, sa boite à oeufs ; ils repartaient avec accroché par les ouïes au guidon du vélo, une carpe encore frémissante et gigotante. Ou un gigot. Ainsi, le socialisme pouvait littéralement se targuer de nourrir le peuple, de la même manière qu’il le logeait, l’employait et vêtait presque sans argent, en contournant l’outil monétaire par un troc d’Etat. Le système était idéaliste, paternaliste, et laissait la population en totale dépendance, sans droit à la parole, face à ceux qui lui donnaient la becquée. On voit combien les choses ont changé maintenant, où des jeunes femmes d’affaires prennent l’avion en business class, se paient des hommes pour leur plaisir ou bien en quête de l’amour idéal, dirigent des boites, achètent des appartements à Sanya – ou à Londres.
Ce qui me frappe ici, est que ce système de la nutriction assistée ait été maintenu en place, même s’il n’est plus qu’un symbole sans grande utilité économique – la fonctionnaire devant nous en avait ici pour 100 yuans maximum, alors que son salaire ne pouvait être inférieur à 3000. Mais qu’importe, l’important était ailleurs :
dans le fait de méthodiquement, soigneusement, idéologiquement maintenir en vie le signal et l’outil du socialisme, coexistant avec des règles de vie au demeurant entièrement capitalistes et libérales. Le Parti communiste chinois, avec ses employés, conserve un fer au chaud.
On peut imaginer que les autres outils sont toujours là aussi, comme la réunion du samedi (où l’on note et dénonce ce que l’on a vu chez les autres, les visites chez les étrangers, les signes extérieurs de richesse, les paroles imprudentes etc), laquelle est un élément important de notation dans la carrière. Ou comme les voyages d’entreprise au 培训中心 peixun zhongxin », « centre de formation » ou hôtel gratuit déguisé, réservé aux éléments les plus dévoués et disciplinés…
Mais bref, cher(chère) ami(e), poussé par les valises et les avions qui n’attendent pas, je pars, et vous livre en viatique quelques photos de ce voyage : à bientôt – et bon vent !
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Cours de Chinois
3 août 2011 à 10:10Effectivement, les grands parents qui se promènent avec leur petits enfants dans la poussette c’est une image quotidienne qu’on puisse voir dans tous les coins de Pékin, puis dans des parcs et des squares les gens font du taijiquan ou de la dance, c’est très harmonique…