Tant de choses frappent à Jeju, terre luxuriante à quelques 500km au large de la mer jaune, entre Chine et Japon, entre Qingdao et Shanghai. Son doux micro climat océanique. Sa végétation variée et originale, sa faune et sa flore aux espèces souvent uniques. Rien sur cette île ne semble se passer comme ailleurs dans la région. Là où Tokyo, Shanghai et Séoul (ses vis-à-vis à l’Ouest, l’Est et au Nord) vivent dans le stress et la promiscuité, Jeju est ample, aérée et souriante, aux 560.000 habitants truculents, bavards et surtout souriants.
« Ici », remarque Hejun, ami de rencontre, « tu trouves trois choses en abondance- le vent, les cailloux et les femmes. Et il y en a trois autres qui manquent en permanence –les voleurs, les mendiants et les serrures ».
L’île du vent
Ces trois choses qui font défaut, c’est le symbole d’une vie « simple et honnête », où l’on travaille dur et dépend les uns des autres.
Frais et humide, décoiffant, le vent est là neuf mois sur douze, souvent vent à pluie ou à neige, et quatre fois l’an à tornade. « Mais ces intempéries sont notre vie », ajoute Hejun : sans le vent, nous perdrions notre énergie, et la pluie et la neige sont notre seule source d’eau douce, puisque notre sous-sol est inerte et fossile ».
Une île à pierres
D’où l’omniprésence des pierres à Jeju: depuis sa naissance deux millions d’années en arrières, l’île a subi des éruptions volcaniques, la dernière il y a 5000 ans. L’île elle-même n’est autre qu’un énorme cratère, le Allasan, le plus haut sommet du pays, qui culmine dans ses neiges éternelles à 1995m, mont pelé au dessus des forêts de résineux et bouleaux. Tout autour, 360 autres cônes ponctuent l’île, cratères de basalte et de tuff noirs tout au long des 2000km² de territoire aux falaises découpées et fjords bleu cristallin.
La terre locale est noire, légère et très fertile, permettant cette végétation semi-tropicale très fleurie, et les récoltes les plus inattendues à 2 heures d’avion de la Sibérie : fraises et melons, noix de cocos, mandarines (spécialité de Jeju), ginseng, carottes, arachides, muscade.
Tout ceci donne à l’île un petit air de Lanzarote aux Canaries, décor d’une beauté si dramatique que l’Unesco y a classé trois sites comme « patrimoine de l’humanité ». Un lieu stupéfiant est une falaise sortant de la mer, sous forme de colonnes pentagonales d’une régularité parfaite, comme l’œuvre d’un architecte à l’imagination débridée. De tous côtés, les forêts s’alternent aux cultures, aux enclos de ces pavés noirs, au tissu « rurbain » où les quartiers agricoles et résidentiels s’alternent avec les serres et cultures sous film noir, pour concentrer la chaleur du soleil et conserver l’humidité. Les habitations sont de style et d’âges très différents, de béton et de verre, ou de pierre crépie ou apparente, mais partagent toutes un toit bas, rasant d’horizon pour résister au vent : tantôt en taule (galvanisée ou peinte, jamais rouillée), en ardoise, en dalles ou même en toile goudronnée maintenue en place par des pavés.
Jeju, île à femmes
On aura pu se demander pourquoi l’abondance proclamée des femmes : c’est, comme en Bretagne ou en toute région de marins, car les hommes étaient constamment en mer. Sur la route de côte à plusieurs reprises, nous avons vu marcher des petites femmes pied nu, encore dégoulinantes d’eau salée, en combinaison de néoprène, ployant sous leur matériel: ce sont les « haeyeo », ou « sirènes » locales, vivant de leur pêche qu’elles revendent aux restaurants locaux. Car l’autre spécialité de l’île est l’exploitation de ces eaux très iodées, giboyeuses de poissons et crustacés que ces coréens n’aiment jamais tant consommer qu’en sashimis, en lamelles crues assaisonnées de l’explosive moutarde verte « wasabi ». Le fin du fin est un coquillage dont la chair comporte des bouts de cartilages croquant sous la dent.
Jeju est aussi experte en alimentation médicinale, d’une diététique curative associant ses légumes et son poisson presque sans matière grasse, tel cet amuse-bouche de petits anchois séchés, servis dans une marinade de miel et sauce soja : très bon, je vous assure !
A Jeju comme ailleurs en Corée, société matriarcale, les femmes sont décisionnaires. Cela se devine à la puissance des églises en tous genres, bouddhistes, catholiques et surtout protestantes –souvenir de la pénétration américaine, depuis l’autre rivage de l’Océan Pacifique. Par la fenêtre de l’hôtel, brille toute la nuit la croix de néon rouge du sanctuaire voisin… La foi reste évidemment vive : les femmes promenant leurs enfants ont presque toujours en main une bible ou un rosaire. Difficile de s’imaginer que 500km au nord, chez Kim Jong-Il en Corée du Nord, la religion ait pu être éradiquée. C’est aux femmes aussi que l’on doit la statue pataude et débonnaire reproduite à l’infini au bord des routes : « Hareubang », grand père de pierre, le Saint du canton.
Il n’y a pas si longtemps, jusqu’aux années ’90, du temps de la dictature militaire, les Sud-coréens étaient interdits de voyage : sauf à Jeju, qui accueillait surtout leurs Lunes de Miel. C’est de là qu’est partie la vocation touristique de l’île, aujourd’hui dotée d’un aéroport international extrêmement actif vers les grandes villes de Corée, mais aussi du Japon, et d’Asie. Jeju est d’ailleurs en piste, dans une campagne planétaire en cours, pour figurer parmi les « sept merveilles du monde moderne ». Elle se profile aussi comme un site de Congrès internationaux. Je n’ai nul doute que la Corée entière est en train d’émerger à vitesse phénoménale comme le bon élève du monde, et le nouveau « Japon », ex-pays pauvre devenu puissance technologique et commerciale en l’espace d’une génération. Avec ce succès, Jeju devrait bientôt percer en Europe, toujours à l’affût de destinations nouvelles.
Un comble de modernité
Jeju est enfin aussi un temple inattendu de modernité. Dès l’aéroport, le voyageur doit passer à travers un « courant d’air », pour le débarrasser des poussières et pollens de la terre d’où il vient. Régulièrement à travers l’île aux routes impeccablement tenues, les véhicules doivent franchir des barrages de brumisateurs destinés à tuer tout germe de fièvre aphteuse, redoutée des éleveurs. L’électronique est omniprésente. J’ai même vu au bord de la mer, un motard livrer à un passant un plateau repas à un passant, qui venait de le commander 10 minutes plus tôt par internet, à partir de son portable…
Une zone d’ombre pour l’avenir : quel rôle de la Chine ?
Pékin, Shanghai sont à moins de deux heures en avion, et de nombreuses mégapoles du nord comme Harbin, Changchun ou Dalian ont déjà une forte minorité coréenne chinoise. Déjà un bon 40% du tourisme local est chinois (accueilli sans visa, quoique l’an dernier, 2000 de ces visiteurs aient oublié de se présenter à l’embarquement du retour). La Chine qui s’impose souvent à ses voisins, et achète les immeubles à tout va, à tout prix. Les Coréens ne peuvent se passer de sa richesse, mais redoutent sa puissance : dès le XV. Siècle, le roi Sejong le Grand avait eu l’idée géniale d’inventer un alphabet local, pour libérer la Corée de toute emprise chinoise. La Chine, qui avait déjà entièrement conquis la Corée, l’utilisant même comme base logistique pour une armada destinée à conquérir le Japon (lequel Japon n’eut pas même à combattre la flotte géante, celle-ci se retrouvant entièrement dispersée et coulée par le fond lors d’une terrible tempête aux vagues scélérates, les Dieux, ce jour-là, ayant décidé de voter nippon).
Par rapport à ce qu’est la Chine pour le Coréen, la situation se complique, dans les esprits, qui ne se sont pas, tant s’en faut, libérés jusqu’au bout du passé. A Jeju, l’héritage chinois demeure très fort, à commencer par les milliers d’idéogrammes que les Coréens apprennent à l’école, et à finir par les pierres tombales gravées exclusivement en mandarin, y-compris le nom de famille. Car si l’on veut vivre en coréen par ici, c’est en chinois que l’on veut mourir, pour l’éternité, comme si après la fin d’une escapade de la vie entière, l’on retournait à sa famille.
Pour l’instant avec le géant « occidental », la relation est plutôt bonne et mutuellement fructueuse – « mais nous gardons les yeux ouverts en permanence », conclut mon ami Hejun !
« Hareubang », le gardien de l’île
escalade de la montagne « Allasan » / pause sushi
Publier un commentaire
jeanne
24 mars 2011 à 16:12Belle balade, partagée avec beaucoup de talent.
Merci.
Il y a ici .. une odeur d’iode comme à Ouessant, Belle Ile en Mer et à la pointe du Raz…
Si Jeju figure parmi les « 7 merveilles du monde moderne » gardera-t-elle le charme qu’elle semble avoir ?
Mes voyages
27 septembre 2011 à 07:54Je suis allé au vietnam, et je vois que la culture asiatique est aussi riche dans les pays voisins. Ca me donne envie d’y retourner.