D’un saut de botte de sept lieues, en famille pour Noël, nous avons rebondi en Egypte !
(ici : le sanctuaire de Nefertari, épouse de Ramsès II, à Abou Simbel – un des deux temples troglodytes taillés à même la roche. Avant la montée en eaux du lac Nasser dans les années ’70, l’Unesco et des dizaines de pays ont pris en charge la découpe de la colline et son remontage quelques centaines de mètres plus loin)
Saisissante Egypte… ses palmiers, ses ânes et ses souks, ses poussiéreuses ruelles de terre battue, ses innombrables amas de pierres taillées et assemblées qui furent un temple 4000 ans en arrière, un palais, un caravansérail… à un ou deux néons près, à l’ordinateur crasseux près de mon improbable internet café au sous-sol de cet hôtel d’Assouan, rien n’a changé depuis 30 ans lors de mon premier passage et de ma découverte de ce pays, lequel n’a entretemps pas fait fortune, du moins pour ce qui concerne sa rue.
C’est pourtant un pays où l’on se sent instantanément à l’aise, comme chez soi, et je veux dire, en tant que Français ou que Latin d’Europe. L’Egypte est un pays qui se donne en permanence, spontanément, comme si il vivait à travers vous ou le grand corps collectif de la planète. C’est là un élément de convivialité ou de communion entre le christianisme latin et l’Islam, ces deux voisins, cousins de toujours. Je vois une forme de complicité physique et de connivence dans la main qui se pose sur mon épaule (ou que je pose sur une épaule) comme si cela allait de soi, dans la familiarité et la plaisanterie, tout un monde de références instinctivement partagées d’emblée, entre gens qui ne se connaissent pas. Nous partageons aussi l’inévitable corollaire, la méfiance envers l’Etat et toute loi, tout gendarme et toute maréchaussée : une forme d’anarchisme atavique qui doit bien venir de quelque part, ce qui nous distingue et sépare nettement du monde germanique, anglo saxon et protestant… Nous avons passé quelques jours à Louxor avec Farrage, guide surdoué de langue française, comme d’Egyptologie, qui nous a présenté et resitué tombeaux, temples et palais, mais aussi le village des artisans qui concevaient, reproduisaient, sculptaient et peignaient ces splendeurs 40 siècles en arrière (comme dirait Napoléon). Il s’est appliqué à nous montrer l’école en brique crue où ces enfants usaient leurs fonds de pagnes à apprendre hiéroglyphes, beaux-arts, religion et caractères démotiques. Nous avons eu aussi la chance extrême d’entendre l’archéologue Christian Leblanc (CNRS, mission française d’égyptologie), nous divulguer le dernier cri de cette archéologie égyptienne si riche en vestiges, et des nouvelles pistes pour explorer sur notre passé commun.
Renonçant désormais à restaurer les édifices antiques, le colosse de Ramsès II de 18m de haut, Leblanc veut retrouver comment les premiers chrétiens coptes, au second siècle, ont mis des années à le briser, en travail par équipe, à coup de burin rageur. Il interpelle aussi et fouille les alentours du Ramsesseum pour en exhumer les lois, les usages, les outils et les métiers, les croyances et les cuisines. Détective de cette terre, il veut lui faire révéler les hommes et leur vie réelle, plus que leur politique bling-bling, leurs investissements de prestige, Pharaons et Dieux d’alors. Faire émerger derrière ces palais l’infrastructure sociale, les métiers, les servants, le peuple. Et ça marche très bien. On découvre ces artisans, combien de jours ils travaillaient en leurs semaines de dix jours, les vivres et le coucher qu’ils gagnaient pour leur peine, leurs jours de congés, leurs mariages, leurs décès… Farrage, notre guide, nous raconte cette plaque d’argile découverte, sur laquelle un artisan demande 3 jours de sortie du village, sous prétexte d’aller enterrer sa vieille maman, et en réalité pour aller ribauder en ville : « refusé« , répond le contremaitre, « tu as déjà enterré ta mère l’année dernière » : Déférence gardée envers Amon-ra, entre ces Egyptiens de moins 2000 ans avant JC, nos clercs convers du Moyen-Age et le syndique de nos jours, rien de nouveau sous le soleil.
Une autre chose qui m’éblouit en ce pays, est la source de la Bible. Les messages implicites de ces légendes et mythes ont quelque chose d’iconoclaste.
Cadet d’Osiris et jaloux de son règne sur les Dieux et les hommes, Seth organise un banquet, et y présente un sarcophage surprise, qui sera « pour celui à qui il ira le mieux ». Et quand Osiris à son tour s’y couche, la boite se referme, l’étouffe : exit Osiris, Seth-le-génie-du-mal prend le pouvoir à sa place. Ca ne vous rappelle rien ? C’est l’histoire de Cain et d’Abel. La suite du mythe annonce la tragédie grecque des Atrides. Seth a déchiqueté son corps en 42 morceaux, chacun éparpillé sur une des 42 provinces de la basse et haute Egypte antique. Mais Isis sa femme, la protectrice des morts a réussi à les rassembler tous sauf un, qu’elle reconstitue bien sûr au moyen d’un bloc d’argile, puis le ranime le temps de s’en faire concevoir un fils, Horus. 20 ans plus tard, on assistera à un grand final de la saga, Horus déguisé en faucon à qui rien n’échappe du haut du ciel, de ses yeux perçants. Horus le juge des morts, le gardien des portes de la vie nouvelle poursuit Seth l’incarnation du mal. Quoique Seth métamorphosé en hippopotame recherche la protection des profondeurs glauques des eaux du Nil, Horus plonge, fond sur lui, le déchire à son tour : la vengeance est consommée…
Anubis, le dieu chacal, protecteur des morts et…
Horus, juge à la balance (à gauche : le coeur, à droite la plume, pour voir si les fautes commises durant la vie, sont assez « légères » pour mériter le paradis.
De même, le mythe inventé par Hatchepsout précède de très près l’ancien Testament de la Bible. Pour démontrer qu’elle a le droit de régner, les théologiens lui inventent une filiation divine : Amon dieu du soleil aurait fauté avec sa mère. Mais par miracle, Ahmès est restée pure, Amon ayant pris la forme physique du roi Thoutmôsis I, son mari, pour la visiter : ainsi est conçue Hatchepsout du Saint-Esprit, immaculée conception, et sa mère inaugure le rôle de la Vierge Marie.
Ce qui reste très dérangeant pour les croyants, que l’histoire de Jésus ne soit pas « révélée » dans notre livre saint, mais léguée, héritée. Et c’est au fond pour cela que nous chrétiens, tout comme les Egyptiens arabes et musulmans renions nos origines, notre Grand-mère l’Egypte, mère de Rome et de la Grèce. Afin de protéger nos croyances.Tout comme les Espagnols renient ce qu’ils doivent au monde arabe, avec les techniques raffinées d’artisanat et d’irrigation en Andalousie, et l’artisanat de Cordoue, de Grenade et de Séville.
C’est la principale chose que m’a apprise de voyage aux évocations si émouvantes et belles.
Et voici pour conclure une histoire politiquement incorrecte, mais qui mérite forcément qu’on la raconte -puisqu’elle a eu lieu.
A Sakkara, le site de nécropoles proche du Caire, où nous débutons notre voyage, nous rencontrons entre les tombes,des touristes chinois, qui selon leur tradition évoluent en groupes compacts, fanion triangulaire en tête. Ils se photographient entre eux plutôt que les vestiges, afin de donner la preuve irréfutable de leur existence et à tout le moins, de démontrer à leurs proches que de l’Egypte, ils en étaient. Ils parlent fort et s’intéressent aux commentaires du guide. Normal, de la part de gens venant de si loin, peut-être désemparés par cette région si vénérable, drapée de la dignité de l’âge, preuve de sa capacité à se perpétuer.
« à quelle heure ça ferme », vient de demander une fille en jeans, aux immenses lunettes de soleil. Alors, je ne sais quelle mouche me pique, de lui répondre : « à quatre heures, dans 25 minutes donc ». Imaginez l’éclair de désarroi qui traverse ce beau visage, constatant l’effondrement de la Grande muraille qu’était pour elle jusqu’alors sa langue, protection certaine contre les « laowai » (étrangers) et certitude de n’être comprise que par ses « pays », membres de la grande famille chinoise. Poursuivant l’avantage, je lance la remarque, à brûle pourpoint : « des sites aussi antiques, il n’y en a pas chez vous, c’est encore bien plus vieux que tout ce qu’on trouve en Chine, ‘zhende ma ?’ », ce à quoi la fille bafouille un peu, vraiment perdue, que « si si, en Chine, on a des bâtiments aussi vieux que çà ».
Après un bref salut, j’avais quitté leur groupe pour rejoindre nos amis, tandis que Jérémie notre fils restait avec les visiteurs quelques instants, quelques questions de plus. De retour parmi nous, il me remarqua, une pointe de reproche dans la voix : « tu sais, papa, ils n’étaient pas chinois, mais taiwanais ». Ce sur quoi nous partîmes tous d’un vaste éclat de rire. Tant nous avions égal besoin de régler les comptes, face à cette Chine où nous vivons au quotidien, et à son excessive obsession de vouloir être toujours la plus grande, la plus forte, la plus vaste ou la plus ancienne en tout, de tous les peuples et de tous les continents de la planète. Naïve et rosse à la fois, ma réaction avait été le coup de pied de l’âne !
ci jointes, quelques photos prises sur le vif :
Petit marchand de savates dans les rues du Caire
Mannequin au Caire (belle au voile)
Vendeur de falafels
Rameuses en hijab, sur le Nil (Caire) (E. Lazerges)
Marchand de pain (le Caire) (E. Lazerges)
Fresque de vendange dans la « vallée des Nobles » (Louxor)
Et cherchez l’erreur ! (deux semaines d’abonnement gratuit au Vent de la Chine à qui la trouve)
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bertrand
11 janvier 2011 à 14:37Je crois que j’ai trouvé : Il n’y a que 14 morceaux d’Osiris éparpillés dans le nil.
Et non 42. C’est exact ?
Noci
13 janvier 2011 à 11:24Le vendeur de « savates » me rapelle quelqu’un – un pekinois bien connu qui a achete sa veste a Yaxiu…
Farrage
16 janvier 2011 à 16:43cher Eric
votre article m’a cause un grand plaisir et vos belles photos m’ont
faites un petit probleme parce que ma femme m’a demander de la
rechercher la meme voile que celle de la photo,elle trouve qu’elle
super jolie .
Noel Girard
18 janvier 2011 à 02:27elles ne rament pas, la barque est a l’ancre !
merci toujours pour le site qui nous rappelle la Chine depuis Grenoble
HELENE BLONDEL
7 mars 2011 à 19:26Quel plaisir de lire ces superbes lignes sur l’Egypte, écrites par un connaisseur de la Chine … de beaux échanges croisés. A bientôt, à Bruxelles ?
Plein d’amitiés, Hélène