Blog : Le roi (nu) de « QQ »

J’aimerais revenir dans ce blog sur un sujet déjà traité dans l’Edito du VDLC de cette semaine (VdlC N°37). Aborder ce phénomène si fort deux fois, ne devrait pas ennuyer. 

Je veux parler du conflit entre Qihoo le groupe chinois d’antivirus, et Tencent -aussi chinois- de messagerie internet. L’un et l’autre aux effrayantes armées de supporters et clients : respectivement 300 et 625 millions, avant la bataille. La messagerie QQ de Tencent conduisant à de nombreux services en ligne, téléchargements, jeux, achats, et bien sûr SMS et chat.

Je rappelle brièvement les faits :

En février 2010, Tencent introduisait dans sa messagerie QQ son propre antivirus, ce qui à terme, était près de signifier une condamnation à mort pour Qihoo. Six mois après, début septembre, Qihoo accuse QQ de scanner les disques durs de ses clients, puis d’en exploiter les données intimes. Ce qui lui permettait de constituer des listes de clients par groupes sociaux : militaires, professeurs, chômeurs, femmes enceintes, et de vendre ces bases de données à des groupes industriels. Qihoo offrait aussi, dans la foulée, son logiciel « 360 privé », l’antivirus pour empêcher Tencent de pénétrer au cœur des données privées pour maintenir à jour ses listes. Tout de suite après, débutait le combat à mort entre les géants : rassembler ses alliés  – groupes industriels – contre l’autre (avec son poids financier de 44 milliards de dollars et son influence, Tencent gagnait aisément cette bataille là) et communiquer auprès des clients (là, c’est Qihoo qui gagnait, avec 75% des usagers, traitant Tencent de « mafia »).

Toutefois Qihoo laissait aussi des plumes dans le combat, se voyant lui aussi qualifier de « petit gang ». Plusieurs procès étaient engagés, en diffamation (par Tencent contre Qihoo) et en abus de position dominante (par Laweach, groupement de surfeurs).  La bataille culminait quand Tencent mettait en demeure sa clientèle, 50% de la société chinoise, de choisir : lui ou l’autre, son service ne serait plus accessible qu’aux PC exempts du logiciel d’en face.

C’en était trop pour le gouvernement qui forçait tardivement deux ministères (MIIT, tutelle des industries de l’information et MSP – la police) à intervenir : le combat s’interrompait de façon bâtarde, Qihoo retirant l’un de ses logiciels anti-Tencent, mais non son accusation. L’on ignore si l’Etat a fait retirer quoique ce soit à Tencent, qui demeure sous l’accusation du challenger.

Le logo de la messagerie QQ, de Tencent – de cette image d’un pingouin innocent et drôle, QQ passe soudain à celle d’une pieuvre enserrant de ses tentacules la société chinoise entière.

 

Ce qui m’interpelle ici, est qu’un tel bras de fer industriel violant toutes les lois, même le souci de bonne image, venait de se produire trois mois plus tôt entre deux autres groupes, les laitiers Mengniu (l’agresseur) et Yili (la victime).

Un chef de chez Mengniu avait payé une firme de communication pour propager la fausse rumeur que le lait maternisé du rival ferait pousser des seins aux nourrissons. Les dégâts ont été minimes pour Yili, assez puissant pour enrayer la calomnie à la base. Se doutant d’où partait le coup (puisque le responsable de la division « lait pour bébé » chez Mengniu, était un ancien de ses propres rangs) Yili avait contacté ses détectives, puis fournissant l’enquête sur un plateau à ses amis dans la police, qui mit 2 mois à contre-vérifier avant d’écrouer le responsable de l’agence et d’inculper le chef de chez Mengniu.

L’intérêt, est l’aspect simultané de ces deux dérapages, à la même période de développement du pays.

Ces quatre entreprises belliqueuses ont été fortement protégées pendant 10 à 20 ans, de manière à devenir les premières du pays, filières nationales et stratégiques surgies de rien. Or, quand vient la crise mondiale et la baisse de croissance, elles commencent à s’entretuer. Faute d’avoir appris à partager. Au fond, rien que d’expliquable, sinon de « normal ».

 

Les conséquences de tout cela ont été jusqu’à présent largement ignorées du public comme de la presse. Mais elles sont nombreuses : « Acheter chinois » à tout prix, par patriotisme n’a aucun sens, sous l’angle du bon rapport qualité-prix et de l’innocuité du produit. Plus l’on est gratuit et plus l’on risque d’être fort cher à la sortie, voire dangereux, contaminé etc.

Plus le consommateur chinois s’en rend compte, plus il veut passer au produit étranger :

– Microsoft est en embuscade dans le conflit Tencent-Qihoo, car allié depuis peu avec le portail Sina.com, il espère avoir plus le poids pour faire percer MSN, et s’enfoncer dans la brèche.

– Et suite à la bataille Mengniu-Yili, laquelle intervenait à peine deux ans après l’effrayant scandale du lait à la mélamine (300.000 bébés atteints), on peut supposer que Nestlé a gagné des parts de marché, du genre qu’aucune publicité ne peut contrer.

Sous réserve d’inventaire, un rééquilibrage est-il peut-être en train de se produire : effarés, sonnés par l’upercut, l’Etat, les industriels et les consommateurs se rendent compte, en même temps, que le marché, dans l’intérêt de tous, doit être ouvert davantage.

Le plus frappant ici : ce qui est demandé, est le recul de l’Etat dans les affaires du marché, son passage à un rôle d’arbitre et non de défenseur d’un acteur national. Ceci ressemble fort à la réforme politique. Le sommet du régime n’en veut et n’en voudra toujours pas. Mais si la paix économique est à ce prix… Tous les espoirs sont permis, non ?

 

PS : depuis vendredi passé,sur I-Tunes, vous y trouvez l’Application I-Phone « Vent de Chine », vous donnant l’Edito du VdlC, les grands titres de la semaine, ce blog, le tout disponible sur 4 semaines !

 


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