Sponsorisée, par Nestlé (merci à lui) ce samedi 30 octobre, cette soirée lyrique, séance de clôture du 13ème Festival musical de Pékin, commença par un cocktail atypique, à l’étage de la salle de spectacle du Poly Plaza : glaces Movenpick et Nespresso à volonté, dans lâ²arôme de notre choix, tout en bavardant avec la meilleure société helvétique de la capitale, et bien sûr chinoise.
Nestlé avait acquis le privilège de parrainer cette soirée – clou du Festival – sans en connaître l’oeuvre à l’affiche : privilège redoutable, à double tranchant, vu quâ²il sâ²agissait dâ²une création mondiale, mais aussi dâ²un opéra chinois monté selon les règles et techniques européennes, ce qui ne sâ²Ã©tait jamais tenté auparavant : « on allait bien voir ce que cela allait donner », me confia un des responsables, à demi-rassuré. Même si la partition était signée du tant attendu Ye Xiaogang, et interprétée par un des meilleurs ensembles de la république, lâ²Orchestre symphonique de Shanghai, sous la baguette de Zhang Guoyong.
 « Song of Farewell » était au programme : une référence très connue et très chère à la Chine. Un jour de -202 sous la dynastie Qin, Xiang Yu le roi de Chu avait perdu une bataille décisive contre lâ²armée Han et vu détruite toute son armée. En fuite, pourchassé, il passait avec Yuji, sa concubine, leur dernière nuit dâ²amour. Prenant son sabre, elle lui exécutait une ultime danse du même nom, avant de sâ²Ã´ter la vie. Puis lâ²ennemi se rapprochant, il chevauchait une dernière fois son palefroi avant de se tuer à son tour. Au fil de 22 siècles et de tant de dynasties, lâ²histoire a inspiré de nombreux opéras, ballets, romans et poèmes. Peu à peu dépouillés de leur nature humaine, les deux personnages sont aujourdâ²hui symboles de courage et de fidélité, chacun additionnant des qualités propres à son sexe : bravoure et force pour lui, beauté et grâce pour elle. Rétrospectivement, leur geste « désespéré » apparaît un fabuleux investissement, leur ayant permis de conserver pour lâ²Ã©ternité le plus grand titre dâ²espoir : force et jeunesse, dignité, fidélité et libre arbitre ⲓ au nez et à la barbe de lâ²ennemi.
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La représentation présente, cependant, avait du mal à conserver ce souffle épique. Cette création-phare de ce Festival, pilotée de près par le ministère de la culture, ne pouvait se permettre de faire lâ²impasse sur la propagande ⲓ même si ici, elle est indirecte. Â
Lâ²action était resituée en 1921, pas par hasard, après la chute de lâ²empire mais avant lâ²avènement du socialisme, pour décrire lâ²instabilité et la pauvreté dâ²une société sans ordre ni loi se battant pour survivre. Les acteurs de cette maison dâ²opéra chinois se décrivent comme sans éducation ni motivation, et ne chantant que pour leurs « trois bols de riz par jour ». Pour les mener au succès, il leur faudra le concours de lâ²auteur, jeune et cultivé, et de haute famille, tout de blanc vêtu. Ce dernier ne se fera pas longtemps prier pour accepter de rédiger lâ²Å“uvre qui les sauve : clin dâ²Å“il à Zhou Enlai, qui lui aussi, en ces temps-là , dans son Tianjin natal, se produisait sur les planches avec son épouse Deng Yingchao, « au service du peuple« .
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—————-quelques scènes de la soirée
La musique commençait, à chacun des quatre actes, sur quelques phrases dâ²instruments traditionnels, gongs et cymbales, avant dâ²embrayer sur la composition classique.
Manifestement, Ye Xiaogang a travaillé toutes ces techniques de conservatoire européen, et les tressait avec complexité au fil de lâ²Å“uvre, entre lâ²orchestre, le chÅ“ur et ses virtuoses. Le problème, est une absence quasi-volontaire dâ²Ã©motions réelles, un grand froid sur la scène et le public. Nous étions comme gelés, incapables de communier dans cette musique, de nous en sentir partie prenante. Peut-être était-ce aussi lâ²absence dâ²actions, de mouvements, le va-et-vient dâ²avant en arrière de la concubine, la raideur du chanteur-héros, la démarche hésitante de lâ²auteur en blanc, rien de tout cela nâ²Ã©tait là pour nous aider à décoller..Ni combats, ni fuite, ni baiser langoureux (surtout pas), ni chevauchées.
Seul le dernier acte nous offrait une belle danse du sabre, conclue par le suicide de lâ²auteur dâ²une réalisation aussi improbable et mièvre que lâ²intrigue : il sâ²enfonçait la glotte au moyen de son éventail. Intrigue banale et peu plausible : l’actrice soupire pour lâ²auteur, qui rêve à  lâ²acteur, qui en pince pour l’actrice… Lâ²amour triangulaire inabouti, et même non déclaré. La librettiste a même raté, au passage, un sujet en or, bien « révolutionnaire » : comment un écrivain pouvait assumer son homosexualité en ces débuts de XX. Siècle et à lâ²aube dâ²une  remise en cause radicale du passé et de sa moraleⲦ
Ce qui devait arriver arriva : à lâ²entracte, discrètement, bon nombre de spectateurs, étrangers comme chinois prirent une discrète clé des champs, même cette grand-mère de 80 ans bien sonnés, grommelant que cet « opéra chinois nâ²avait rien de chinois ». Ce qui, de mon point de vue, nâ²avait rien dâ²un crime. La faute étant plutôt de nous plonger tous, toutes cultures confondues, dans l’observation froide plutôt que dans lâ²extaseⲦ
Conclusion : puisque la cause technique de lâ²Ã©chec était politique ⲓ lâ²intervention trop forte de l’Etat dans la composition de cet ouvrage de circonstance, il mâ²est venu en tête une comparaison du même registre.
Jâ²ai pensé aux difficultés du socialisme chinois à tirer sa société de sa passivité et de ses conditions médiocres de vie sous la pollution et le stress. Une débauche de moyens se déversent sous nos yeux, de Pékin à Urumqi, de Changsha à Lhassa-même, béton, néons, voitures de luxe, machines importées en tout genre, énergie gaspillée, convertie en fumée au lieu de construire écoles, hôpitaux ou centres de rencontres pour personnes âgées. De bonne foi et volonté, le Parti ne parvient pas à enrichir cette société, faute dâ²accepter de lui laisser un peu dâ²initiative pour participer à sa propre organisation.
Dans cet opéra comme dans la vie réelle, la quête de lâ²Ã¢me chinoise par la Chine a quelque chose de touchant. On multiplie les moyens étrangers, après en avoir gommé le mode dâ²emploi, la philosophie dâ²utilisation, la finalité. Après 20 à 30 ans dâ²absorption massive dâ²influences étrangères, la Chine cherche à en faire sa synthèse, et à se retrouver. Quête légitime, à laquelle elle a droit, et à laquelle elle ne renoncera jamais. Mais comme un oiseau aveugle revenant toujours voleter contre les barreaux de la cage, elle nâ²y parviendra pas, tant quâ²elle se contentera dâ²accumuler les éléments étrangers tout en sâ²interdisant de chanter sa chanson à elle !
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Pour rester malgré tout objectif, je dois dire que cette vision est très peu partagée par les organisateurs, puisque ceux-ci murmuraient, dans les couloirs du Poly Plaza, que « Song of Farewell » était pressenti pour être invité sur les scènes du Chatelet et de la Scala dans les mois prochains : bonne chance !
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