Blog : Krabi – souvenirs de plage envolée

Bonjour,
Tandis que nous pataugeons à Pékin toujours dans la neige durcie en glace, entre blizzard et tricycles réquisitionnés qui hoquettent vers la banlieue pour y déverser leurs bennes de neige sale, Krabi, où nous étions 15 jours plus tôt poursuit sa vie douce et tropicale, entre Thaïlande et Malaisie, comptoir assoupi en mer d’Andaman. Le bonheur sans histoire : pastèque ou ananas le matin, crevettes et poissons le reste du temps, frits ou cuits à la vapeur au curry rouge, vert, jaune et pour le reste, ballades et lectures dans ce sable fin, natation, excursions en pirogue aux moteurs pétaradant vers l’une des multiples îles avoisinantes (Hong, Chicken, Poda, Phiphi, etc) pour y goûter des eaux encore plus turquoise et pures.

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Fait aussi partie des plaisirs locaux la bière thaïe, frappée-glacée sous la tonnelle, et amère à souhait, très exprimée. Avez-vous remarqué qu’en couleurs comme en aromes, en formes littéraires comme en habillement, le Chinois est généralement plus effacé et pâle, tandis que le Thaï comme le Vietnamien s’expriment plus vivement et joyeusement, à fond les papilles ? Comme si l’immensité du Céleste empire, sa puissance concentrée tout comme sa tradition le guidaient naturellement vers plus de retenue et discrétion, comme pour moins gaspiller l’oxygène et l’espace, que les habitants des petites nations d’Asie du Sud –Est, ses voisins ? Viet-Nam et Thaïlande par exemple, ont des cuisines cousines, mais fort nettement différenciées, affirmées et colorées : comme pour exprimer un besoin vital de clamer leur différence, afin de ne pas mourir digérées par l’immense voisin. A moins que cette vie tout en couleurs, cette rage de se dire ne tienne à la proximité du Tropique, à la générosité expansive et babillarde des peuples du Sud, à la richesse de leur jungle, de leur terre et de leur mer ? Peut-être jouent aussi quelques décennies d’évolution en toute liberté, au contact d’investisseurs et visiteurs de la terre entière ? Pour ma part, je tiens les trois explications pour toutes plausibles et complémentaires.

A Krabi, nous étions déjà venus, 20 ans en arrière.

Le Krabi présent n’a plus rien à voir. Aujourd’hui, il est développé. A l’époque, nous logions dans une family guesthouse douteuse et sympathique. Nous dînions sur la place du marché, à une table en fer bancale et crasseuse. Nous étions chez les gens, dans leur environnement direct, partageant leur univers qu’ils nous ouvraient généreusement.

Aujourd’hui, Krabi a été remodelée. Considérée irrécupérable, la vieille ville a été dépossédée de l’or blanc du tourisme. Comme d’autres vacanciers, nous logeons dans une villégiature à 25km de là, à Aonang. Krabi est ville musulmane. Aonang a été bâtie par Bangkok, avec son argent, et ses « resorts » sont tous de possession bouddhiste, comme la moitié de son personnel descendu en bus de la capitale. Pour autant, la liberté religieuse et la tolérance apparaissent totales. Je sens même une grande prudence, une restriction de pensée (une « correction politique ») entre thaïs des deux confessions. Tout le monde semble sur le pont, engagé pour que la colle prenne, que la paix interethnique se maintienne par la prospérité. D’ailleurs, l’économie locale semble un réel succès. Outre le tourisme, on voit sur les routes modernes et bien faites un trafic dense de camions et pick-ups industriels… Cette Thaïlande du sud doit travailler et prospérer en symbiose avec la Malaisie, juste derrière.

Cette prudence se voit aussi dans les gardes armés qui gardent les resorts durant la nuit. La ville n’a pas non plus de prostitution apparente, pas plus que de nudisme sur les plages, et les boites ne tonitruent pas leur musique racoleuse à volumes sonores insupportables. Autrement dit, il se peut bien que l’attentat de Bali ait fait réfléchir toute l’Asie du Sud-Est, musulmane comme bouddhiste, qui en a tiré ses conclusions : une politique discrète et prudente a fait la chasse à tout excès qui pouvait mettre hors de ses gonds une minorité intégriste jusqu’au-boutiste, afin de lui ôter tout prétexte pour passer à l’acte.

Pour faire bref sur ces notes de vacances, voici juste deux petites visions sur le marché de nuit de Krabi :

– Nous y avons retrouvé un seul point commun avec nos souvenirs : les tables en fer branlantes, maculées de gras. Tout le centre du souk en était meublé, vaste restaurant populaire où chacun partait se sustenter de fritures et de soupes aux guinguettes sur les côtés, tandis que les ruelles latérales et les bords du square offraient en vente toutes sortes de brimborions, coquillages, maquettes de bateaux, vêtements et chaussures d’humble qualité pour enfants. La clientèle était souvent voilée. Sur un flanc du marché se déployait une scène, avec un concours de chant de gamines de 10 ans, genre Star Academy.

– sur le même espace, en périphérie, se tenait une autre manifestation émouvante. Sur des pièces de toile tendues à même le sol (au bord des allées, au pied des visiteurs), des enfants du même âge avaient peint le Tsunami, dont on fêtait le tragique anniversaire de cinq ans plus tôt, le 26 décembre 2004, quand 300.000 hommes, femmes et enfants, touristes et locaux avaient été emportés par les flots en quelques minutes sur les rivages de tous les pays de la région, entre Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Sri Lanka.

La Thaïlande à l’époque, avait donné au monde une leçon d’humanité et de maturité. Administration et population de tout le pays déployèrent des efforts intenses, compassion et services, notamment de psychologie et de premiers secours, d’archivage et d’identification des décédés, d’accueils des familles venues chercher leurs disparus etc. L’élan de solidarité de centaines de milliers de volontaires sur les lieux du drame durant des semaines fut ensuite relayé par la création de monuments et de cérémonies de souvenir, et par la mise en place de nouvelles mesures de prévention. Ainsi l’aspect tout neuf d’Aonang doit fortement à sa reconstruction aux nouvelles normes, avec digue de deux mètres de haut derrière la plage, et partout des panneaux indiquant les itinéraires d’évacuation vers les hauteurs, en cas de nouveau tsunami – car on sait maintenant que cette vague géante et scélérate est toujours précédée d’un repli de la mer de quelques dizaines de minutes : le 26 décembre 2004, quelques minutes avant la catastrophe, l’on pouvait traverser jusqu’aux îles à sec.

Je ne décrirai pas ces tableaux commémoratifs de ces petits, sauf pour dire qu’ils sont splendides et imaginatifs. Posez-vous simplement la question de la manière, en art occidental, de représenter la mort. Généralement par une femme squelette, armée d’une faux : façon directe, conventionnelle et finalement assez pauvre, réductrice comme une guillotine. Et à présent, voyez la mort dans chacune de ces œuvres, tantôt vue comme un crabe, tantôt comme une vague, tantôt comme un simple voile de couleur. Devinez aussi l’harmonie qui en ressort, la « valeur » de la mort aux yeux de ces petits. Pour eux, elle est souffrance, et inévitable, mais pas forcément une ennemie. Elle s’apprivoise peut-être aussi, à condition de l’intégrer en soi et ne point la refuser. Elle EST tout simplement, présente et à portée.

Pour moi, ces gamins fatigués, qui peignaient le soir au lieu de se reposer au lit, sont admirables par leur maîtrise de leur vécu – car ces morts, c’étaient leurs sœurs et leurs parents, tandis que ces tableaux simples représentent la vie qui continue, dans le plaisir du moment présent et dans le témoignage.

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  1. annie

    par ses tepms de froidure et de grisaille , qu’il est doux de s’evader quelques minutes!!

  2. Richard

    Merveilleux souvenirs à la lecture de ces lignes. La région semble le reflet d’un paradis, avec l’espoir qu’il ne change pas trop vite…

     

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