Bonjour,
Je ne sais pas où vous vous trouvez, mais à Pékin, ce climat, inimaginable… Un soleil d’une telle incandescence, et une température jusqu’à dimanche 18 octobre encore douce… On se croit revenu aux temps du début, au premier automne de 1987, du temps où aucune voiture ne circulait dans les rues, et où la seule pollution dans l’air était celle du souffre du charbon des ménage voire, à peu près à cette époque, les ventes massives de choux dans les rues : c’était à l’époque, en l’absence de tout frigo, congélo ou chaîne du froid, la seule source de légume « frais » (copieusement macéré dans son propre jus, sur les marches malpropres des escaliers de HLM) de la diète chinoise.
Vendredi dernier chez le coiffeur, comme de coutume, une jeune fille commence par me laver les cheveux « à sec » (avec une poire d’eau et de shampoing, juste assez), suivi d’une séance 5m plus loin, sur une chaise longue où l’on vous rince la toison, cou cambré vers l’arrière. Elle commença par tenter et même réussir à m’entuber un peu, m’annonçant à 120 yuans le prix de la coupe, que je connaissais à 60. Comme je le lui faisais remarquer,
-combien payez vous d’habitude ?, rétorqua-t-elle.
-60 à 80, fis-je :
-ah oui, ca, c’est le tarif sans le massage… Et bien pour vous, ce s’ra donc çà, donc…
La fine mouche avait réalisé, en une seconde, un profit de 20 yuans (je soupçonne qu’il s’agissait d’un nouveau truc, durant la crise, pour compenser le manque à gagner de la raréfaction de la clientèle : elle devait toucher la moitié de la surprime ainsi monnayée, et la patronne, une Ouighoure du Xinjiang avait du leur baisser les déjà maigres salaires en conséquence.
Petite, souriante et pépillante comme un moineau, la shampoigneuse n’arrêtait pas de bavarder, me racontant sa vie sans nulle gêne. Elle partageait avec sa sœur et six autres filles un « sushe » (dortoir) à 1800 yuans par mois. Elle n’envoyait pas d’argent aux parents (ils n’en avaient pas besoin), mais dépensait l’essentiel en nourriture et frais quotidiens. Elle avait obtenu le job depuis son village, par une amie ayant emprunté plus tôt la même filière. En effet, on ne reste pas longtemps dans ces jobs d’accueil, vu la maigre paie.
A un moment donné, avec la sœur passant à proximité, elles se sont amusées à parler leur dialecte du Hubei, histoire de vérifier si l’étranger parlant chinois était capable de les suivre en Hubei’ien (je faillis à l’examen, comme on pouvait s’y attendre).
Et si je vous raconte la scène banale, c’est à cause de ce qui vient. Elle avait peu d’ami(e)s, faute de temps libre et surtout d’argent pour sortir. « Et en fait, j’aimerais bien avoir de la compagnie dans ma vie », ajoute t’elle. Un peu interloqué, je lui réponds par cette question d’échappatoire : « êtes vous en recherche d’un « nan pengyou (petit ami) » ? « Oui » fait-elle sans attendre, comme si la réponse allait de soi, « ca ferait aucun mal », tout en poursuivant d’une traite « êtes vous seul dans Pékin ? ».
Le fait pour moi de la décevoir, ne la troubla pas le moins du monde : elle avait essayé, et c’était tout. Le reste des quelques minutes à poursuivre le shampoing, elle poursuivit son gazouillis et ses rires, avant de me livrer aux ciseaux et au rasoir du figaro cantonais à l’autre bord du salon.
Autre chose : lors d’une fête récente, un ami chinois m’offrit une belle bouteille.
Il s’agissait d’un produit franco-chinois de synthèse, car le flacon arrivait dans un coffret produit localement, avec quelques signes extérieurs qui modifiaient la signification du produit. La boite semblait de bois précieux, brillant rouge foncé genre acajou. Cependant un regard plus précis dévoilait qu’il s’agissait d’un film genre sérigraphie, sur une paroi d’un matériau indéfinissable, plastique ou carton boulli, peut-être. Le fermoir ajouré, broche coulissante autour d’un axe, était de style moderne, un peu complexe mais pas trop, bon chic bon genre. A l’intérieur, drapé de soie rouge grenat, le couvercle contenait une sorte de mousse très précisément évidée en quatre endroits, contenant les accessoires « must » de telle dive bouteille, tous d’acier inoxydable brunis et jetant des reflets argentés : l’anneau anti-goutte, le versoir propre et net (avec fermoir), un second bouchon en longue pyramide conclu par une sphère, et bien sûr, l’inévitable tire-bouchon pliant, assorti d’une petite lame pour proprement trancher la collerette protégeant le boudin de chêne-liège… Là aussi, à l’observation minutieuse, chacun de ces objets, pour élégants et de bon goût qu’ils soient, n’étaient point fabriqués avec d’infinis moyens, mais à l’économie, comme le bouchon dont la boule s’avéra dévissable, au faîte du cône à angle aigu. Enfin la bouteille elle-même, quoique de belle qualité (un Saint Emilion 2005, et ne me demandez pas le château), n’était ni Lalande, ni Château-Petrus. Autrement dit, nous avions affaire à une déclinaison mandarine d’un nectar aquitain : à la présentation aiguisée, affûtée pour obtenir un summum d’élégance sans trop investir dans l’affaire, tout en justifiant pour le négociant le triplement ou quadruplement du prix C’était un peu l’inverse de la maxime de chez nous, « qu’importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse », que la culture pékinoise avait remplacée par « qu’importe le vin, pourvu qu’on ait la face » !
(et que mon brave ami me pardonne d’avoir fauté aux devoirs de la camaraderie, comme à la morale de cette autre sentence, « à un cheval donné, on ne regarde pas les dents » !)
Un mot enfin à tous ceux qui m’écrivent de si sympathiques encouragements. A Hong en particulier, dont j’ignore le pays et même le genre, mais dont la gentillesse me va droit au cœur. A tous, merci.
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