Blog : Yin et Yang

Bienvenue – que d’aventures, cette semaine !
J’étais hier soir à une conférence du Cercle francophone, à Pékin, sur un thème fort bateau, et pourtant bien mystérieux et passionnant. Cyrille Javary, traducteur en français du Yi Qing (livre des changes), parlait du yin et du yang (阴阳). Sujet toujours très à la mode en Occident, et qui fait un come back en Chine après avoir franchi surgelé les décennies de dureté révolutionnaire. Sujet au traitement ambigu par les autorités, qui le méprisent comme superstition, mais qui l’approuvent comme discipline antique et nationale.

Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, je vis au milieu de ces symboles, sans les avoir étudiés, et j’ai appris bien des choses :

Yin : creux, strié ou rugueux, siège de fécondité. Et en montagne, l’adret, (versant nord), sombre. Celui qui va de la pluie vers le soleil.

Yang : plein, lisse, clair, siège de chaleur, l’ubac (versant sud), clair, celui qui va du soleil vers la pluie.

Quoique les connotations sexuelles soient évidentes, il faut résister à la tentation de les traiter en sièges de la féminité et de la virilité, car ils sont avant tout mouvements, changements, et s’interpénètrent en permanence. Comme le yin est le trait discontinu et le yang, le continu, ils se combinent en hexagrammes, au nombre de 64, soit 26 , chacun chargé d’une situation ou plutôt d’un changement (donc d’une action) qui résume une phase de la vie et de l’univers. Les hexagrammes nous sont légués en culture chinoise depuis des millénaires, seuls les commentaires varient à l’infini (l’empereur Kangxi, dans sa bibliothèque, en aurait eu 15.000).

Une recherche récente en Chine, qui chagrine Javary, prétend effacer tout ce tableau de millénaires de pratique et d’observation, pour ramener les hexagrammes à un simple almanach Vermot des jours statistiques de pluie et de nuage. Je tombe d’accord avec Javary que ce serait dommage de s’arrêter là : pourquoi dépeindre le monde simple, quand on peut le faire complexe, et d’autre part, cette recherche est suspecte puisqu’elle abonde dans le sens du régime, en faisant du Yi qing un outil paysan, matériel et pas spirituel – presque socialiste !

Javary raconte l’histoire d’un de ses amis chinois, savants atomiste en Amérique, qui en fin d’adolescence, avait émis un soir auprès du père le désir de partir étudier en Amérique. Le père était resté silencieux, puis peu après, s’était retiré dans sa chambre. Le matin, il avait en main la réponse. « J’ai calculé l’hexagramme », dit il. « J’ai trouvé celui du ‘ jeune fou ‘. Je n’aime pas ton projet. Voilà donc pour ton voyage ». Et il lui tendit un paquet conséquent d’argent, pour l’avion et ses premiers besoins. Car l’hexagramme était très clair : le projet était « fou », mais « indispensable ». Et quand le fils, des années plus tard, depuis l’Amérique, annonça à son père qu’il intégrait au MIT,la prestigieuse université technologique, il recevait trois semaines après un paquet : le yiqing familial, légué…

Bon, je regarde Javary, lettré parisien au chinois classique impeccable, destinée étrange et sympathique, qui nous a parlé durant cette heure et demie, des deux cultures à la fois, la française et la chinoise, l’une nourrie et renforcée par l’autre, à tous les niveaux de langage. Celui-ci était très châtié la plupart du temps, mais n’avait pas peur, quand cela s’y prêtait de recourir à l’argot, comme pour échapper à la préciosité ou à la tour d’ivoire de certains sinologues. Je croyais voire, derrière son discours, le fond humain, l’homme de partout, où tout le monde, chinois ou français peut se reconnaître.
Pourtant, aujourd’hui, cet homme moyen terme de toute culture n’existe pas. Il n’y a que les nations qui sont des clans, avec leurs codes contraignants et obligation de montrer patte blanche ; que des cultures dominantes, et pour ceux qui s’aventurent si loin dans la découverte de l’univers des autres, un statut hybride, de personnage que l’on remarque, mais solitaire, et auquel on ne s’assimile pas. Comme d’autres sont expatriés. Des Gastarbeiter de la pensée, auxquels les organisations, syndicats, structures sociales en tout genre ne correspondent pas. Des hors normes.

Je soupçonne qu’un gars comme Javary, avec son message ésotérique et élégant, soit porteur d’un petit bout d’une culture du futur, de segments de culture chinoise implantée dans l’européenne, pour modifier nos perspectives et nous adapter à un avenir moins obnubilé par le profit – retomber sur nos rails. Et vice versa bien sûr (une culture chinoise inséminée d’éléments traditionnels occidentaux. Javary n’est bien sûr pas le seul à préparer cet avenir qu’il ne connaîtra pas (ni nous non plus, for that matter) vu le délai imprescriptible d’incubation nécessaire aux mutations. Mais on est en plein dedans – on se prépare.

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La situation me fait penser à celle du XV. siècle français -je suis en train de lire un passionnant bouquin de Georges Minois, sur le roi Charles VII. Dans son château de Bourges, avec sa cour fantôme, inactif et velléitaire sauf pour de grossiers plaisirs, Charles VII a l’air d’un minable et d’une lavette. Pourtant, il assurera le règne long de 40 ans, sous lequel la France sort de la guerre de 100 ans et regagne son indépendance, boutant l’anglais hors des côtes pour fonder un Etat moderne.

J’y vois un rapprochement avec notre temps présent.

Quoiqu’en même temps, la situation politique y soit l’inverse. Ce siècle était mal dans sa peau, d’une insécurité totale et d’une violence à faire frémir, après 90 ans de guerre et de coups de Jarnac entre rois, ducs, barons, et bandes de brigands. L’essentiel est que les gens sont extrêmement paumés, doutent de l’avenir, et sous l’inquiétude, font des choix. Apparait alors l’idée de nation (le désir de chasser l’occupant), et puisque les femmes étaient sans défense et maltraitées plus souvent qu’à leur tour, on y voit augmenter à rythme exponentiel le nombre des sorcières, des saintes et des amazones, femmes soldat comme Jeanne d’Arc : des femmes qui s’expriment, voire se sacrifient, pour défendre leur genre.
Et ce siècle, sans en être conscient, dégage déjà tous les traits de caractère de la France et de l’Europe classique des deux siècles suivants, voire de maintenant…

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Enfin un dernier mot sur la « culotte » et son « poulet qui pend en dessous » (¿ãñÃϵļ¦¼¦). Ces deux termes sont les surnoms donnés par la rue chinoise à la future tour de la CCTV, qui ressemble effectivement un peu à un caleçon long, et à la tour de 30 étages en vis-à-vis, partie du même ensemble, qui devait être le futur hôtel Mandarin Oriental.

On l’a deviné, c’est cette tour qui a brûlé lundi 9 février, (fête des lanternes clôturant la période du Chunjie), du 30ème au rez de chaussée, pour un coût possible de 100 millions de dollars (le tout avait coûté 730 millions). Raison : un feu d’artifice offert par CCTV à la ville, à un million de yuan. Soit depuis son toit, soit depuis la base, à proximité.

Problème : les pompiers, la police avaient interdit le show : l’hôtel n’avait pas encore l’eau (les sprinklers ne fonctionnaient pas), et la grande échelle des pompiers était loin d’atteindre le sommet. Dans ces conditions, tout à brûlé, malgré l’engagement de 600 soldats du feu (dont un y est malheureusement resté) et de 7 casernes durant 6 heures..

C’est alors qu’apparaît Han Han, sur internet – jeune écrivain (entre autres fonctions) de 26 ans, shanghaïen.

Han han écrit des choses fort audacieuses et drôles, estimant que la CCTV a brûlé son propre « poulet », ce qui convient bien à son statut de premier média eunuque du monde. Il exprime ainsi une idée très courante ici : le groupe télévisuel au monopole manque de génie comme de modestie, et se comporte sans aucun respect pour les lois, ni pour la sécurité des gens. Ce faisant, on voit apparaître avec toujours plus de clarté en Chine l’image d’une administration ayant du mal à fonctionner, d’une chaîne de TV impopulaire et artificielle, et d’une opinion jeune qui s’affirme sans aucune peur, sans pour autant tomber dans l’exagération et le délire infantile, exprimant des idées matures, dans un débat que la censure ne bloque plus.

Questions : une telle équation peut durer combien de temps ? Quel lendemain ? A vous de dire !

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  1. Bertrand AUGRAS

     On dirait que cette mascarade est un paramètre bien identifié avec lequel ils savent élaborer naturellement des contournements.

    Ils semblent connaître si bien le pouvoir (par expérience) qu’ils savent jusqu’où le croire et le craindre et comment ils peuvent jouer avec et s’en affranchir quand bon leur semble. Ce jeu du chat et de la souris, à mon avis, ne date pas d’hier et semble un stratagème particulièrement important dans la société chinoise (comme sous tout régime dur d’ailleurs).

    Je pense que ça n’est donc pas près de s’arrêter…

    Bertrand

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