Entrée à reculons dans l’année du bœuf
La nuit du chunjie, du 25 au 26 janvier m’apparut malingre et en retrait, dans l’expression de la joie populaire et l’explosion – la force de frappe de la rue. Par rapport aux années précédentes, beaucoup moins de pétards, et seulement durant une demi heure pour l’essentiel – de minuit à minuit 30 -c’était, me dit on, conformément aux règlements. Sifflantes, éclatantes, pétantes, canonnantes (gross Bertha), chuintantes, tourbillonnantes, étincelantes, tout était là – mais en petit volume, du moins là où j’étais.
Apparemment, il y a eu des exceptions, dans les quartiers riches. Un ami me dit que de son balcon, chaque tour du CBD portait sur son toit un feu d’artifices professionnel coordonné, « chacun digne d’une ville de 20.000 habitants en France ». Mais ca, c’était le Parti, et la populace n’avait rien à voir là dedans. Tel autre copain logé en villa à King’s garden (villégiature très bizarre mais exclusive, une des mieux gardée de la ville), me raconte que ses voisins, tous généraux et tous millionnaires (comme quoi l’armée mène à tout à condition d’y rester), avaient fait rentrer un camion entier de pétards aux bouches a feu grosses comme le bras, et s’amusaient comme des gosses à des concours de qui l’aurait plus longue. Quel pied c’a été, surtout quand un de ces engins hauts comme un grand chien, se renversa et commença à tirer dans les pattes, les ventres des gens, ou la la, tout le monde ventre à terre – mais les bonnes femmes en peignoirs, inconscientes pour leurs mômes ahuris, ne se plaignaient pas, sauf d’être dérangées dans leur pionce !
Mais généralement, en matière de pétards, d’extermination préventive des démons et de transgression charivarique, on était en retrait, par rapport à cette année 2005 (où le pétard venait d’être de nouveau autorisé dans la capitale) et les suivantes, qui avaient connu de véritables débauches de feu, de papier écarlate explosé, de lumière dans la nuit, de décibels et d’odeurs de soufre.
Une certaine année au tournant du siècle, la frustration avait été si forte, et l’interdit de pétarader si insupportable que l’Etat avait encouragé la vente de CD de bruits de pétards, compensation dérisoire. Un peu comme ces vieillards, souffrant d’impuissance, et qui dans leur home, s’entourent avant dodo l’engin de papier à rouler, pour se montrer triomphalement au petit matin l’anneau brisé, preuve supposée de leur jouvence regagnée…
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Ainsi donc, la pétarade, cru 2009, manque de souffle : on est blasés, et on n’a plus d’argent. Le baoan (gardien d’immeuble) que j’ai interviewé dans la nuit, me le dit ainsi : « la plupart des gens sont partis ailleurs, pas dans Pékin, à l’étranger ou à Hainan… En tout cas, faire des choses plus intelligentes que claquer son fric dans des pétards ».
Comme quoi tout évolue, et tout se perd. Condition nécessaire pour accéder à d’autres états, abandonner l’état précédent. 塞翁失马 – le vieillard de la montagne a perdu son cheval, mais qui saurait si c’était pour le pire, ou pour le mieux », dit la légende !
Ainsi donc, à tous, bonne entrée, même à reculons, dans l’année du Bœuf, et que de sa masse, il nous protège des souffles glaciaux de la bise !
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Le lendemain, visite au temple Dont Yue miao, qui fut, dit la notice, la plus célèbre foire bouddhiste de Pékin. Malgré les spectacles d’acrobatie sur le parvis, et dans l’arrière cour du temple, là aussi, l’impression était de faiblesse et de retraite de la tradition. Peu de public, dont pas mal d’étranger. Quand même, goûtez à l’occasion de bol de blanc-manger de lait d’amande, c’est une rareté.
Pour les connaisseurs, le temple avait été squatté par le ministère de la sécurité publique, qui y logeait son école (une de ses écoles) de formation à l’espionnage. L’expo de photos, dans le temple, montre bien dans quel état pitoyable le temple était quand les barbouzes l’ont quitté, dans avoir versé un sou de réparation en un demi siècle. Le commentaire précise que le lieu saint était jusqu’en ’99 aux mains d’ « instances gouvernementales et scolaires », ce qui est rigoureusement vrai, mais prête aussi à sourire : pourquoi avoir caché l’identité de l’usufruitier ? Ma réponse : par instinct de conservation !
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Dernier petit caillou à ma mosaïque du jour : L’autre jour à Bangkok, un cadre supérieur d’une multinationale me confie l’histoire qui suit, un mythe qui selon lui se raconte dans de nombreuses sectes et chapelles, entre proche et extrême Orient :
Dans le désert, un homme marche à côté de Dieu, l’un et l’autre laissant leurs traces parallèles dans le sable.
Soudain, l’homme se retrouve seul, avec la trace interrompue de l’autre à ses côtés : il n’y a plus que la paire d’empreintes de ses pieds.
Très inquiet, tout en souffrance, il continue à marcher, sauve plus ou moins sa vie, mais se retrouve le soir dans l’oasis exténué, déshydraté et seul.
Il se désespère alors et accuse, comme Jésus sur la croix, « Dieu, pourquoi m’as tu abandonné?
Et Dieu soudain répond : je ne t’ai pas abandonné. Simplement dans ce désert, tu n’avais plus la force, alors, je t’ai porté.
Et si tu ne voyais plus qu’une trace là où avant nous étions deux, c’était la mienne ! »
N’est elle pas belle ? En tout cas, c’est pour moi la preuve que l’appartenance à ces hautes sphères multinationales n’exclut ni le cœur, ni la culture, ni la recherche d’une vie meilleure et partagée.
Si un passage où l’autre de ce message, de la photo ou de la vidéo vous inspirent, merci de déposer votre obole : un petit commentaire – à votre bon cœur, et puis ca fait du bien !
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Hélène et Jeanne
2 février 2009 à 01:50Merci
Nous sommes très inspirées par ces commentaires, et aussi impressionnées par le camion « militaire » pétaradant..
Nous reviendrons.. pas de vidéo pour l’instant..