Blog : Noël, Noël !

Bonjour, bonjour,

C’est rare, mais cette année, Noël se passe pour nous au pays du Milieu, et c’est Jérémie, notre fils, qui nous rejoint de France, dans moins d’une heure, avec deux de retard – Merci, KLM. Ce qui me permet de faire ce petit blog de circonstance.

Je vous préviens d’avance, début janvier, vous aurez droit à une entrée dure, mais édifiante et au fond écuménique, vision d’un hôpital chinois qu’il m’a été donné de découvrir récemment. Mais pour aujourd’hui, foin de tout cela : l’heure est à l’amitié, à la famille, à une bonne bouffe qui ne s’assimile pas à la goinfrerie, mais à des valeurs ancestrales, aux pensées de nos gènes, à la mousse mentale amassée par notre chaîne ADN. Avec son temps de retour aux siens, Noël en Chine existe peu : c’est le Chunjie qui en fait fonction, le festival du Nouvel An. Athéïsme bouddhiste mis à part, bien sûr. Entre Chunjie et Noël, le rapprochement est tentant, et pertinent aussi. Comme nous autres à Noël, le Chinois, à sa Nouvel an, veut s’amender, se bonifier dans son chemin vers la vieillesse et sa mort. Il veut avoir réglé toutes ses affaires en cours, payé ses dettes, marié sa fille, honoré son père, mis sa maison en ordre et s’être mis en règle avec le Ciel. Ce n’est pas le moment de la contestation, de la révolution, mais celui d’un repli heureux, équivalent peut être du temps de protection total dans le ventre de sa mère. Le temps chinois du retour en enfance, est celui en Europe, de la Nativité. Et chez tous les deux, celui de la glorification de la famille.

Il se trouve au demeurant que ces deux époques , la chinoise et la judéo-chrétienne, sont très proches, et correspondent l’une et l’autre au coeur absolu de l’hiver, quand gèle à pierre fendre (aujourd’hui à Pékin : « 12°). C’est donc le moment où, depuis qu’il a cessé de s’appuyer ou de se mouvoir sur ses membres antérieurs, promus à la dignité de bras, et s’est mis à cultiver ses champs et ses pages, l’homme chinois comme l’Occidental n’a absolument rien d’autre à faire, que se replier sur soi et les siens. Et donc, de philosopher tout en mangeant et buvant bien. Pas par hasard évidemment. Cela nous offre un précieux indice venu de l’autre monde, de cette fascinante hypothèse : notre morale et notre culture, sont en partie conditionnées par notre climat, et d’autres choses qui le sous-tendent.

Indice suppémentaire – de ces choses qui le sous-tendent : l’air que nous respirons, la lumière qui nous entoure, et leur rôle fondateur des valeurs que nous avons élues pour notre civilisation. (Eh, oui, les filles, eh oui, les gars, je suis un peu embarrassé d’employer un langage si haut et définitif, simplement, à cet instant, il ne m’en vient point d’autres – mais rassurez vous, ca ne va pas durer). J’en veux pour preuve notre récent séjour au Tibet, où nous demeurâmes en permanence sous l’ivresse de l’altitude. Ce sentiment d’ébriété se manifestait au début par des douleurs à la pointe des poumons, des névralgies solides et persistantes, de grandes fatigues aux articulations. Il y avait aussi la perte permanente du souffle, sous le seul fait de marcher quelques pas, de parler un peu longuement – et de courir bien sûr. Et aussi, une forme d’hilarité, d’émotion, d’enthousiasme envers le paysage et les gens, la luminosité du ciel, les ombres et lignes très cursives des nuages, comme s’ils voulaient parler et hurlaient des formes et symboles pour nourrir nos rêves. Comme si nous demeurions en permanence sous l’influence d’un joint. La raison technique de cette saoulerie était parfaitement identifiée : à 3600m, voire 5209m (mon record), nous avions moins 35% d’oxygène, et cette sous-oxygénation faussait (ou rectifiait, comme on voudra) la pensée et les sens. On n’était plus comme en bas. Mais ce qui apparut très vite remarquable, est que les locaux, Hans ou Tibétains produisaient les mêmes symptomes, céphalées mises à part, lesquelles disparurent après 8 jours. Et je pouvais fort bien m’assimiler aux Tibétains, prendre leur humour, leur truculence et leur envie de tout distribuer de leurs biens aux autres, prendre leur timidité humble mêlée à un solide bon sens, prendre tout cela donc pour mes qualités propres .

En outre, ce que nous vivions était beau. Nous sentions à tout moment l’évanescence des choses. Nous sentions aussi s’imprégner en nous la simplicité tibétaine, sa spontanéité rustique, et le sentiment de vanité de toute possession sous le soleil, de toute quête du pouvoir. Comme je le disais plus haut, je suis persuadé que cette vision « morale » étherée du monde, celle qui fait le lamaïsme et le fonds culturel bön, était lié à l’altitude, religion des hauteurs.

J’ai eu spontanément l’impression que cette religion et les valeurs morales y-attachées avaient quelque chose à voir avec notre avenir, comme un fer maintenu au feu par notre nature culturelle et morale, pour nous renouveler, régénérer à l’avenir. Et voilà un fait, s’il se vérifie, qui aura totalement échappé à la Chine matérialiste, et le noeud du problème sino-tibétain, au coeur de l’incommunication de la puissance d’en bas, du peuple subjugué d’en haut, et de leur malentendu. Car ni la Chine, ni le Tibet ne sont des criminels ni de mauvaises gens. Juste des gens qui ne se comprennent pas. Pas plus que la France au Maroc ou en Algérie dans les années ’50, dur comme fer convaincue d’avoir la civilisation et une mission, et d’apporter le bien et la lumière, et outrée de constater l’obscurantisme et l’ingratitude des Magrébins récipiendaires : Chine-Tibet, France-Maroc, rien de nouveau sous le soleil!

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Noël de mon enfance

Quand j’étais petit, à même époque dans l’année, mes parents nous enmenaient, mes trois frères et moi, à « PPP », l’appartement de mes grands parents place Paul Painlevé, Paris 5ème, pour la grande fête familiale de Noël. Ma grand-mère Yvonne était une artiste-peintre aux goûts fantasques, grande dame irréprochablement habillée et au port de reine; aux manières impeccables et à l’humour fin – mais aussi, fort caustique à ses heures. Mon grand-père était Michel Hollard, grand résistant, connu ailleurs sous le nom de « l’homme qui a sauvé Londres », pour avoir identifié les bases des V1 et V2 sur les côtes normandes en 1943-44, permettant aux Anglais de les détruire à temps. Ce qui lui avait valu de se faire attraper et envoyer au camp de concentration de Neuengamme, au bord de la Baltique – il en avait réchappé.

PPP, merveilleux appartement de 5 pièces en 5ème étage, surplombait la Sorbonne, le musée de Cluny et la rue Cujas. Avec son balcon sur trois pans de son immeuble, il chapeautait la place en question, avec au centre de son petit sqare, la statue de Montaigne assis, la fraise de dentelle autour du cou et les lèvres épatées à force d’être alternativement brossées chaque semaine par les employés municipaux puis enduites de rouge à lèvre par les carabins. La tête était changée environ chaque 15 ans. Montaigne, citoyen de Bordeaux, portait sur son socle l’inscription « Paris a mon coeur depuis mon enfance »…

Dans le salon, il y avait bien sûr le sapin et ses vraies bougies, et ses tiges magiques qui étincelaient 30 secondes sur ses branches. Le sapin s’enflammait parfoii un petit peu – c’était un autre temps, d’autres moeurs, et les adultes veillaient au grain. Les cadeaux sous le sapin, dans leurs emballages mystérieux et désirables, tout le monde offrait à tout le monde, même la vieille tante Maguitte, toujours de ce monde à 103 ans je crois, qui nous offrait les livres complètement inadaptés à nos âges mais au titre d’appel comme le voyage de Marco Polo ou « Benvenuto Cellini, mes prisons »…

Mais avant le moment fatidique, « Ami », mon grand-père, faisait le discours. Il relisait la scène de la nativité de Mathieu ou de Jean, que nous connaissions par coeur, puis poursuivait par un conte de Noel qu’il inventait chaque année pour la circonstance. Prfois, il y avait bien peu de Noel là dedans : le rapport était un moment de générosité, d’humanité, de compassion, qui est l’esprit de Noël, lié à la conviction d’un être supérieur et bienveillant au6dessus de nous. Une de ces histoires, je m’en souviens, traitait d’un de ses passages en Suisse, pendant la guerre, chargé de secrets militaires et de documents sur l’occupant, qu’il s’apprêtait à livrer à l’ambassade de Grande 6retagne à Berne. Et comment, dans un moment très difficile, des locaux l’avaient protégé et aidé dans son entreprise, soit par compassion, soit par esprit patriotique.

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Tout cela pour vous annoncer cette initiative très exceptionnelle d’aujourd’hui : je vous donne le conte de Noel, chinois mais dans le style de mon grand 6ère Ami, que j’ai publié dans le Vent de la Chine de la semaine dernière : bonne lecture et

Joyeux Noël !!!

Suzhou Le père Noël et la Jeune Fille

Le Vent de la Chine vous propose cette anecdote étrange, aux allures de roman à l’eau de rose-à ceci près qu’elle est authentique. Elle arrive au bon moment, veille de Noël, temps des cadeaux.

Au printemps 1972, Huimin et Yueying ouvriers en usine chimique à Suzhou, tombèrent amoureux, chose bien normale, à leur âge (19 et 18 ans), et en ce royaume célèbre des jardins et des amours…

C’était une erreur pourtant, et pas petite: à l’époque, seul l’amour révolutionnaire était licite, et les idylles ne pouvaient fleurir que sous la serre stricte et rèche du socialisme. On se fréquentait, passée la 20aine, après le vote de l’assemblée populaire de l’usine, point. Quant au mariage, c’était pour bien plus tard et sous conditions plus dures encore. Aussi à leur amidonnerie municipalee n°2, nos tourtereaux évitaient de se parler et de se regarder (soucieux de ne pas trahir leur secret) : ils roucoulaient en silence et délicieux émoi -confiants en l’avenir, aux lendemains qui chantent et s’embrassent.

Leur patience devait pourtant s’avérer vaine: En ’74, Yuejing fut renversée par un camion et il devint bientôt clair que la colonne vertébrale détruite, elle ne remarcherait plus jamais !

Durant ces mois de convalescence, Huimin fut admirable d’amoureuse abnégation. Il passa ses jours et ses nuits à l’hôpital, dans son dortoir à son chevet, lui donnant la becquée, s’occupant de ses soins d’hygiène – se substituant aux infirmières rares et débordées.

Une fois de retour chez elle, il lui bricola un pupitre pour qu’elle puisse bouquiner allongée, et vint tous les soirs après le turbain, la voir chez ses parents, dont le soulagement n’avait d’égal que la stupéfaction. La consoler et la distraire. Et lui donner la force de vivre par son amour.

La ville finit par s’émouvoir pour ce beau garçon qui s’étiolait si énergiquement. De la famille, de l’usine, du Parti, 1000 proches lui présentèrent des filles, afin de ne point laisser see perdre inemployé un si beau matériel.

Yuejing elle-même fit campagne pour qu’il fonde un foyer, fasse sa vie -après tout, elle-même ne pouvait plus lui offrir un héritier, ce qui en culture chinoise, est « une des trois manières d’insulter à ses parents », et donc d’interdire un mariage.

Mais dur comme le diamant, Huimin réagit à la chinoise, lâchant l’accessoire pour tenir sur l’essentiel: il épouserait une autre, d’accord. Mais seulement que celle qui accepterait de partager avec lui les soins de sa malade.

C’était une recette gagnante s’il en était, pour faire fuir toutes ses prétendantes : quelle femme accepterait de se mettre du matin au soir, au service de la reine du cœur de son mari? Pourtant six ans plus tard, il s’en trouva une du genre qui savait voir avec le cœur : en 1980, patiente et simple, Minfang écouta leur histoire, rencontra l’invalide, qu’elle trouva souriante et affable. Elle releva le défi, et passa avec Huimin au Bureau des mariages.

Depuis, ils ont vécu 28 ans ensemble, à s’ingénier à rendre la vie de Yueying plus supportable, plaçant l’hiver un brasero sous son lit, un pain de glace aux mois chauds, la massant et lui mitonnant des plats…La paralytique leur rend ce sacrifice par tous ses moyens, notamment en acceptant de ne pas se laisser dépérir, à seule fin de ne pas les décevoir, ou en jouant la 2de mère pour leur fille, jour après jour, et l’éduquant en leur absence. En un mot, Huimin et Minfang se sont faits l’outil de vie de Yueying – mais elle, est devenue le sens de leur existence.

Si cette histoire touche ces jours-ci des millions de lecteurs chinois, c’est parce que Huimin et Minfang forment un exemple tangible de ceux qui «portent de la braise aux autres quand il neige » (雪中送炭 xǔe zhōng sòng tàn), capables de compassion. Elle annonce aussi que ce sacrifice apporte sa récompense – la félicité loin du confort, l’harmonie hors de l’espoir. Racontée par le « Quotidien du Yangtzé », cette parabole chinoise digne de la Bible s’inscrit en faux contre le principe directeur de la vie des Chinois modernes, le chacun-pour-soi !

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  1. Bertrand

    Joyeux Noël à vous

    Il est vrai qu’au Tibet on prend nettement conscience de ce que l’on a gagné au niveau matériel et perdu au niveau spirituel (et philosophique) et au final… le poids de l’un et de l’autre n’est vraiment pas le même.

  2. jeanne

     

    Joyeuse Nouvelle Année à tous

    à tous les  « Huimin Minfang et Yuying » et à toutes  les  personnes de bonne volonté à travers le monde…

    et  particulièrement à l’auteur de ce blog et à tous ses proches…

     

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