Je vous emmène d’abord, dimanche dernier, dans « ma » montagne non loin de Huairou, décor de rivière et de verte vallée, hier vouée aux travaux des champs, qui retrouve à présent sa fonction touristique de repos du travailleur hier prolétaire, aujourd’hui promu à la dignité de bourgeois.
Regardez ce bout de film :
Cavale des deux canards
Trois hommes au bord de l’eau, sur un bras mort du torrent, immémoriale mare aux canards. En tenue vaguement endimanchée (chemise blanche, pantalon noir chez l’un), ils viennent de se disposer en triangle dans les coins secs, pour la chasse aux canards. Deux d’entre eux viennent de mouliner des bras pour faire fuir les volatiles vers la terre ferme. Cela a pris quelques secondes à peine, suite à quoi le troisième les a attrapés d’un geste net et précis. Il les tient à présent par le cou, d’une main certaine de ne pas les étrangler. Ce sont probablement des gens d’une ferme voisine, propriétaires de la volaille.
Question du jour : Pourquoi sont-ils venus la récupérer, alors que, comme vous verrez, ils finissent par les remettre en liberté. Regardez attentivement l’image : un indice y est caché. A la clé : avec un abonnement de deux semaines au Vent de la Chine pour le premier qui nous enverra la bonne réponse, en commentaire.
… et de tôle froissée !
En voiture lundi soir vers notre chorale francophone pékinoise (pour les « pékinois » qui s’y intéressent, tel 13910731927du Président Peter Ford, et répétitions chaque lundi soir 8h à l’école française -tout le monde bienvenu, surtout les hommes), je trouve la rue San Li Tun bouchée comme si souvent par un taxi arrêté en son milieu pour charger un pékin, et qui considère la rue comme son chez soi : « quand y’a d’la gêne, y’a pas d’plaisir » !
En retard comme d’hab, je décide de me frayer passage dans le réduit laissé libre, et mal m’en prend : un léger frémissement dans la carrosserie m’apprend que j’ai touché. Je passe outre. 300m plus loin à destination, alors que je me gare, un klaxon furieux m’apprend que j’ai été suivi et que ça ne se passera pas comme cela. Brève discussion. Nous observons les dégâts, qui des deux côtés, partiront d’un coup de polish. Empoignade, cris, le furieux veut « des sous » pour faire refaire une aile neuve sur sa guimbarde coréenne pleine de gnons. Il est même rentré sur le terrain de l’école : n’écoutant que son courage, le garde s’est barricadé dans sa cabine et contemple obstinément un point virtuel dans la direction opposée… Je finis par me dégager et reprenant mon souffle, rejoindre mes lyriques compagnons.
A la pause, au bout d’une heure, cependant, je sors pour voir la suite : une vieille Santana bleu et blanc, robe distinctive de la police, gyrophare en batterie, qui attend « depuis plus d’une heure », m’assurent ses occupants.
La scène qui va suivre ressort instantanément du fond des eaux de l’oubli un moment similaire, vécu en 1990. Un ami belge, Jean Severy, alors prof. à l’institut Yiwai, m’avait prêté son véhicule, étrange et antique coupé d’importation rouge cerise – le genre qui à l’époque, se rachetait entre experts étrangers se succédant dans un même poste. A l’arrêt dans un embouteillage, sur Haidian, j’avais vu en face une femme téméraire remonter la rue par le milieu à bicyclette. La cycliste avait mal calculé : en face, un autobus au pas la prenait en écharpe dans l’espace trop étroit. Il tordait sa roue, son guidon. Je voyais la femme pâlir tout en gardant le silence, et les phalanges de sa main gauche blanchir et se déformer, sous la douleur. Puis tandis que la femme s’effondrait et que je sortais par l’autre porte, pour l’assister, le bus se sauvait, évitant les ennuis. Un agent de passage m’avait contraint à rester sur place, au lieu d’aller me garer un peu plus loin : provoquant un bouchon encore plus homérique, le temps pour les hommes de la loi d’arriver et établir le constat.
Là aussi, la police était venue très rapidement. Et désormais dans l’obscur, devant le parvis de l’école, leurs collègues de 18 ans plus tard, s’apprêtaient à traiter notre cas fort identiquement.
D’abord et contrairement aux idées reçues, pas de brusquerie ou d’impolitesse face à l’étranger : une courtoisie parfaite, fermeté mais sourire, lors du contrôle des pièces d’identités – et l’on ne bronche même pas, lorsque j’en produis de simples photocopies. Et c’est à peine si l’on me fait remarquer, incidemment, qu’en cas de conflit sur la route, me soustraire à la scène n’est jamais une bonne idée : mieux vaut appeler les pandores à l’aide, au n°122 – ce que mon adversaire a fait, me mettant à mon désavantage.
Deux formidables logiques s’affrontent et s’ignorent
Ensuite, dans les deux cas, l’anatomie de l’accrochage a été reconstituée en quelques minutes : la conviction des hommes est faite, que je n’en pouvais mais. Mais leur problème n’a rien avoir avec le droit. Deux formidables logiques s’affrontent, tout en s’ignorant. La Confucéenne, et celle de l’Ouest- là nôtre, dont j’ai regret de dire, qu’elle n’a ici pas cours. Celle de l’Ouest affirme l’individu responsable de ses actes : le « fautif » doit souffrir pour sa faute, et celui dans son droit, en être épargné.
Mais celle de la Chine voit l’accident comme une forme de mariage, où deux partenaires, tous deux issus d’une seule et même grande famille humaine, ont ensemble produit un résultat qui détruit une harmonie. Pour la restaurer, il faut un remède viable, « économiquement durable ». Le droit n’a rien à voir en cela : le plus riche doit assumer les responsabilités du plus faible, et prendre à sa charge une partie des dégâts, suite au verdict d’un juge-conciliateur : le policier.
Aussi, ce dernier, ou plutôt ces deux derniers (venus en équipe) se muent en experts pour quantifier le coût matériel. Symboliquement, puisqu’il n’oublie pas que le poids de la faute repose principalement en face. Aussi, maintenant, devant l’école, le policier me met le deal en main : « nous savons que vous chantez ici, comme chaque lundi, de 8h à 10h… Vous avez le choix : régler cela ici, à l’amiable, ça vous coûtera 50 à 100 yuans, ou bien on vous amène tous deux au poste, on fait la procédure lourde, vous en aurez tous deux pour deux à trois heures… »
J’opte bien sûr pour la première voie : il retourne voir l’adversaire aux mains de son collègue de l’autre côté de la rue. Il négocie pour moi. Il revient me communiquer le verdict, d’un index muet mais comminatoire tourné vers le ciel : « Un ! », un billet de 100¥, que je lui donne (sur sa demande), selon un cérémonial au sens précis : il s’en va le porter cérémonieusement au taximan, prouvant ainsi la valeur quasi-monétaire de sa fonction, comme assureur-redresseur de torts. Le taximan, quittant toute sa morgue, se confond devant moi en excuses obséquieuses, complétées de la parole 算了 « suanle », c’est oublié, avant de parvenir au geste-objet de toute cette comédie : la poignée de main, démontrant que ce petit mal là, au moins, vient d’être gommé de la surface de la Terre, harmonie rétablie !
Puis nos gendarmes s’en vont dans la bonne conscience du devoir accompli. C’est donc mot pour mot, membre à membre, la scène exacte que je vécus en 1990, et qui me revient en mémoire, comme la petite madeleine de Proust, me laissant libre de retourner aux madrigaux de la chorale, allégé d’un biffeton, enrichi d’une lézarde sur une aile de la voiture, et d’un regard de plus sur ce pays :
Rien de neuf sous le soleil : la mésaventure prouve qu’en 18 ans en Chine, seul le reflet a changé, non les forces profondes. Dahai, ami peintre chinois à qui je conte l’histoire, me la commente de ce mot un rien sibyllin : « la seule chose qui ne change jamais en vie sociale, est celle qui change tout le temps ».
Je préfère me représenter ce pays comme une vague, toujours égale à elle même sous l’attraction lunaire, mais dont l’écume serait toujours nouvelle, créant l’illusion d’un pays ayant aujourd’hui bouleversé du tout au tout par 20 ans de mutation économique. Et pourtant, tout ce qui compte, ses valeurs et ses manières de traiter les situations, reste immuable !
Sur ces bonnes paroles, cher lecteur, je vous quitte, pour 15 jours et pour un voyage pas donné à tout le monde : on en recause, à mon retour, mi-octobre !
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Bertrand
14 octobre 2008 à 00:10Bon… je pensais trouver plus de réactions à cette petite énigme mais comme il semble qu’il n’y en ait pas, je me lance:
Il semblerait qu’il y ait une fête dans le village (fanions). Est-ce que les canards sont des prix d’un pari ou d’un jeu effectué lors de la fête (tombola ?). Est-ce qu’il y avait une course de canard et que ces deux là sont sortis du circuit ?… franchement, pas facile comme devinette !
Bon, j’aurais essayé…