Que la fête commence !
C’est par une rétrospective fastueuse de son histoire, que Pékin a choisi d’ouvrir les 29ème jeux olympiques, sous la baguette magique du grand maître Zhang Yimou. Sa griffe se reconnaît tout de suite, d’ailleurs, avec ses ballets de masse, ses 800 soldats de terre cuite, 928 rameurs ou ses 2400 étoiles-danseurs, directement tirés de son peplum d’époque Qingshihuang, « empereur et assassin ».
Pour l’ex-dissident devenu officiel, la fête somptuaire disposait d’un budget illimité, et regardez tous nos extraits, le monde entier tomba pour la qualité esthétique des images, le choix des thèmes, des moyens techniques faisant oublier la défection de Spielberg (qui abandonna ce projet au milieu du gué, pour cause de Darfour).
La délégation sénégalaise défile avec une pancarte où l’on peut voir le message suivant : »Amitié d’abord, Compétition ensuite’‘. Un très beau message en cette période d’incertitude sur la scène internationale
Un stade étuve ou congélo, suivant saison
Parenthèse non dite dans la chanson du reportage télé, aux tribunes de presse (2ème étage), il faisait 32°. Au premier, chez les 80 grands de ce monde, il en fit deux de plus, avec l’absence de ventilation et de climatisation : avec son épouse, un de mes amis s’enfuit de leur loge officielle après 20 minutes, les vêtements prêts à essorer. Ce que ni Poutine, ni Bush, ni Sarkozy ne furent en mesure de faire, victimes de leur fonction d’amis de la Chine et de soutien de leur équipe nationale. Ils durent même subir, en prime, quelques sifflets et lazzis lors de leurs passages en gros plan sur écran olympique… Splendeur et misère des grands de ce monde !
Petite conclusion préliminaire partielle, d’ordre architectural : ce stade chef d’œuvre de technique, bonheur du regard, signé des suisses Herzog & De Meuron, est mal conçu et ingérable sous l’angle thermique. Trop chaud en été, trop froid en hiver. Son anneau élevé fait échec à toute aération. Pauline, l’architecte australien du Cube d’eau, critiquait l’ouvrage pour d’autres raisons (écologiques, de rationalité urbanistique). Mais son intuition rejoint la mienne : l’outil de prestige n’est probablement pas voué à une longue durée de vie !
Pour la fête donc, tous les moyens techniques furent de la partie. De l’écran géant annulaire aux projecteurs laser créant des objets holographiques (virtuels) tridimentionnels. Des machines d’opéra aux treuils humains à la calisthénie, chorégraphie traditionnelle des régimes socialistes où des milliers d’hommes animent ensemble une sculpture géante-mutante-mouvante aux irridescences et couleurs qui ne sont pas de ce monde.
90 000 personnes au stade Olympique et prés de 4 milliards de téléspectateurs ont les yeux rivés sur Beijing ce soir là
4000 ans d’histoire en deux heures et demi
Parmi les scènes épiques proposées aux 90.000 spectateurs, figurèrent les caravansérails de la route de la soie ou la flotte océane médiévale de l’amiral eunuque Zheng He (qui poussa jusqu’ Djibouti). Une fabuleuse machine humaine fit jouer et vivre les blocs-charactères d’imprimerie. Différentes scènes virent la naissance d’une peinture géante à l’ancienne, qui fut complétée d’étape en étape comme fil rouge de l’épopée. Des centaines d’acrobates construisirent de leurs corps une maquette du stade nid d’oiseaux. Une sphère représentant successivement la Planète et la cabine spatiale Shenzhou, permit aux enfants figurants d’affirmer qu’ils triompheraient du réchauffement global. 2008 adeptes du taiqichuang exécutèrent une chorégraphie formidablement éclairée dans ses bleus clairs-obscurs. Et pour conclure, tenu par un filin qui l’affranchissait de la pesanteur, Li Ning, l’ex-champion du monde de gymnastique, traversa d’une foulée lunaire horizontale (!!!) la moitié de la couronne supérieure du stade avant d’allumer une torche géante, prélude au bouquet de feu d’artifice final : du très grand art !
Une cérémonie d’ouverture à la démesure de la Chine
Un regard derriere les coulisses
Mais pardonnez-moi de regarder derrière l’image, et d’interroger la construction-même du show, au risque de découvrir des ficelles, un projet inattendu. Il se trouve qu’aucune de ces scènes ne mettait en scène un héros, un être humain, un individu. Aucune n’a valorisé le sport, la camaraderie dans le dépassement de soi (la souffrance), les retrouvailles de l’espèce humaine, transcendant les nations, sur la cendrée. Pas une seule n’a non plus glorifié les Jeux Olympiques, ni Coubertin, ni la Grèce antique : alors qu’un regard chinois sur ces traditions universelles (cet héritage commun) aurait pu être vivifiant.
Par contre, toutes glorifièrent la nation chinoise, et s’adressant à la Chine plus qu’au monde, vantèrent son socialisme. Ainsi, fut joué tout d’abord l’hymne de l’Armée Populaire de Libération, puis celui national, tandis que montait le drapeau rouge aux 5 étoiles jaunes.
Pour entendre retentir les choeurs des Jeux olympiques, c’est à dire ceux de l’univers international et hors-nations, il fallut attendre trois heures de plus et la fin de la fête. Même chose pour voir hisser l’étendard aux 5 anneaux. Plus dérangeant – et pas seulement pour moi- : la pièce d’étoffe blanche fut déployée par six soldats au pas de l’oie, dénotant d’une incompréhension à peu près totale de l’idéal supranational et pacifiste de Pierre de Coubertin.
En résumé : on a vu vendredi soir une fête splendide, qui a fait et qui fera vibrer longtemps encore la Chine entière, jusqu’à ses dissidents sans doute. On a aussi eu confirmation du malentendu inévitable entre une jeune nation à peine sortie d’un passé totalitaire, et un Occident vivant dans des valeurs démocratiques dont elle n’a pas idée.
Un des nombreux feux d’artifices qui ont illuminés le stade »nid d’Oiseau » ainsi que le centre de Pékin
Attention, dans ces propos, nulle intention de rabaisser ou dénigrer. Ni d’inquiéter. Aucune agressivité n’est perceptible en cette Chine envers l’étranger, ni rêve de revanche -seulement des nervosités, qui sont également perceptibles de l’autre bord, et qui sont gérables. Mais pour que la Chine parvienne à prendre conscience de ses forces nouvelles, et apprendre ses nouvelles perspectives, il faudra du temps : tant que ce n’est pas fait, point de dialogue possible sur les thèmes qui divisent -mais pour autant, pas de feu en la demeure !
Et vous lecteurs, qu’en dites-vous, voyez-vous la Chine comme un risque pour la stablitié mondiale?
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Frederique
9 août 2008 à 21:57ach, le pas de l’oie …. je me suis obligée à faire un recadrage historique éclair pour ne pas zapper et même la jeune génération a émis un murmure … fatigants, ce jeux, pour les méninges ! mais plaisir des yeux quand même.
Sachez qu’on vous lit en Belgique !
Frédérique
Bertrand
10 août 2008 à 05:09Vu de France, le passage du drapeau chinois apporté par des enfants représentant les minorités ethniques à des militaires robotiques chinois était très… étrange. Décidément, la perception de l’uniforme est bien différente dans nos sociétés (encore plus dans le cadre des JO !).
De même les quelques sifflets pour certaines nations, la campagne anti-française pour le moins disproportionnée (et particulièrement tolérée par le gouvernement), l’orientation 99% chinoise du spectacle ou encore l’agitation soudainement maximale des jeunes « encadreuses » du stade lors de l’entrée de la délégation chinoise (contrastant avec l’accueil « normal » des autres pays) laisse un certain malaise quant à l’image d’accueil, d’ouverture et de fair-play dont la Chine estime se faire l’écho à travers ces jeux…
Pour des occidentaux qui n’ont pas côtoyé la culture très nationaliste et « militaire » qui influence encore très fortement la société chinoise d’aujourd’hui, ces images peuvent paraître troublants même si il y a tout lieu de croire que ces choix ne partent pas d’une mauvaise intention. Chacun décode les symboles suivant sa culture…
Merci pour ces comptes rendu jour après jour, la double lecture de ces jeux via ce Blog est décidément très intéressante…
jeanne
11 août 2008 à 18:12Juste ce qu’il faut d’humour et de justesse dans les mots pour dire, avec le faste, les maux de la Chine…
J’ai une pensée pour tous les « mingongs » qui ont construit…
Sans nier la beauté des images, parfois « poudre aux yeux » voire « rideau de fumée » il est , à mes yeux, essentiels de regarder l’envers.. et pas seulement en Chine.
Si j’ai bien compris les chinois laisseront des plumes , dans le « Nid d’oiseaux »
Merci pour ce bain dans l’ensemble des J.O. , dans ce contexte historique et actuel de Pékin et de la Chine.