Blog : Pékin

Bonjour,

Baguenaudant ces derniers week-ends dans Pékin, nous avons eu l’occasion de constater le degré très rapide de multiplication des investissements culturels, et de personnalisation des êtres et des quartiers. Autrement dit, le reboisement de l’âme humaine s’accélère en cette région du monde, par rapport à 25 ans en arrière, où l’on pouvait passer un semestre sans entendre parler d’un concert ni d’une expo, et où les bars n’existaient simplement pas, à l’exception éphémère de celui de Chen Jun et de Jennifer, avenue Chaoyang.

La sortie commençait la veille au soir – Any, l’amie brésilienne nous avait mis sur le coup d’un concert de Carlos Malta, le magicien des flutes, dans un théâtre de la ville. Thème obligé, Malta commençait par une séance de « pife » en solitaire, une très longue et volumineuse canne, genre triple bambou de 1,5 à 3m de long, le Pife, émettant une poignée de notes longues et graves, faisant un peu penser à la trompe tibétaine. Puis un à un les trois percussions, l’autre flutiste, entrent en jeu, et jouent des airs revisités du folklore brésilien, changeant jusqu’à trois fois d’instruments durant un simple morceau.
L’auditoire chinois, une fois de plus, était surprenant de qualité et de connivence, son enthousiasme montant vite en puissance à chaque morceau.
A la sortie, Malta fit une chose jamais vue en ce pays : flute traversière au bec, il descendit tout bonnement de la scène, monta dans l’auditoire, les travées, les rangées, suivie de ses compagnons, chacun un instrument en main ou suspendu aux bretelles (triangle, crécelle, tambour), et fit le tour de la salle devant le public en « standing ovation », tandis que le service de sécurité était trop médusé et dépassé pour réagir…

Le lendemain matin, vers midi, nous sortions au Sanlitun Village, devenu un haut lieu de rencontre et d’événements dès le 1er jour de sa création : dans une grande halle, nous faisions le tour d’une petite foire (« le French Festival« ) aux produits du terroir français, organisée par SOPEXA, autour de vins, charcutaille, fromages et autres, réunissant de nombreux exportateurs. 

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Dashalan

Puis nous poursuivions vers un festival international de design organisé à et par le quartier de Dashalan, au sud de Qianmen. Et là, il y avait beaucoup à voir. Il faut savoir que cette rue commerçante à l’origine, est tout sauf glamour. Cour des miracles, havre traditionnel des courtisanes et des pick pockets, où les ravalements de quelques façades ne parviennent pas à effacer des murs l’aspect insalubre et même sordide. Autrement dit un quartier déshérité, du genre que la Chine préfère passer au lance-flammes et au bulldozer plutôt qu’au karcher  et à la chaux. Or cette fois, un comité local prétendait conserver l’architecture, les murs, restaurer plutôt que bétonner. Et plus fort encore, il avait invité les étrangers pour venir s’y exprimer : autant d’attitudes nouvelles, qui montrent un tournant dans les mentalités, et une lassitude, face au tout-béton et au gros fric – fin en soi.

Exposait là, Wuhao, boutique française de design, fondée par Isabelle Pascal, aux produits uniques et innovants, hélas à prix inabordable (comme ces fauteuils de velours gris ou beige en forme de galets, surmontés d’un dossier traditionnel impérial de bois). Boutique d’ailleurs montée dans un ancien et tout petit « palais des fleurs » (salon de thé en bas, les chambres en haut). Pour mémoire, le lieu n’avait pas l’eau courante – on se demande comment ils pouvaient bien faire. A côté, se trouvait une maison à cour carrée, occupée par un décorateur d’intérieur britannique. Toute une rue occupée ainsi pied à pied, confiée à l’étranger, le tout coiffé par un centre festivalier italien intitulé « hutongology », où défilaient les mannequins et où les cocktails fluos coulaient à flot.

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Fauteuils en velours gris en forme de galet – Wuhao

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Wuhao

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Wuhao


Par ses différences, ce festival  » Dashilar » me fit penser à d’autres lieux de Pékin, plus riches et plus banals. Comme la rue Qianmen, refaite à neuf depuis 2008, où chaque maison avait été recopiée et reconstruite selon ses lignes d’origine, mais dans un style moderne et dépouillé, conceptuel minimaliste. Le résultat aurait dû être admirable, rencontre du présent et du passé. Or c’était raté. Trop de fric, trop de gogos, trop de Disneyland et parc à thème, « notre passé inc. ». Tout était magasin, piège à portefeuille, loyers exorbitants et pas un seul vrai habitant. La rue avait été assassinée.  Autre quartier décevant, la rue Wangfujin, rendue piétonnière, pavée et refaite avec des bars de rue et petits stands à snacks. Mais là, c’est l’orgueil qui tue : partout, le plus grand luxe du monde en vente, montres Omega, foulards Hermès, parfums Lancôme etc. La clientèle n’est même pas pékinoise : les toutous de toute la Chine débarquent en bus, une demi-heure d’arrêt. C’est sirupeux, sans imagination, on prend la fuite. J’oubliais le nom de l’événement, annoncé par de grands calicots rouges au travers de la rue : « Troisième festival international du produit de marque ». Nul.

Par rapport à cela, Dashalan, le déshérité, pensait le premier à inverser l’équation hyperlibérale de ce régime socialiste : moins d’argent, plus d’authenticité, plus d’imagination, en associant à cet effort le monde entier. L’avenir dira si cette ouverture soudaine sera tolérée en haut lieu – auquel cas elle est probablement la formule de demain- ou bien sabordée, parce qu’atypique et sentant le soufre.

Nous finîmes la soirée au théâtre du Peuple, dans l’atelier de spectacle expérimental, face à un ballet, « Médée », de Virginie Mirbeau, et une pantomime, toutes productions du Beijing Fringe Festival, issues du Festival « off » d’Avignon. Ici aussi, ces deux spectacles très différents avaient attiré un auditoire passionné et très au courant, genre école d’arts de la scène. Meng Jinghui, réalisateur chinois très en vogue était à l’origine de cette tournée. L’objectif était de monter un festival du même type qu’Avignon (off) à Pékin ou ailleurs en Chine, poursuivant ainsi l’émancipation du show-biz vis-à-vis du ministère de la culture.

Tout cela est entièrement nouveau, et aurait été impensable des années en arrière : sous l’angle culturel, le vieux principe du discours de Yan’an, qui prétendait limiter toute culture aux besoins d’illustration de la propagande du Parti, se fripe, fane et effrite, en attendant l’effondrement final !
Bonne journée à tous !

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