Pour Yang Xiaonan, ex-buveur natif de Xinyang dans le Henan, la remontée de l’enfer a débuté 12 ans en arrière, et n’est pas finie. A 48 ans, Yang en fait 60, et haït tout de sa vie passée. Il se demande encore comment il a pu tomber si bas. L’inconscience du père a pesé lourd. Recevant chez lui et ne tenant pas l’alcool, cet officier imposait à son fils de prendre le relais des ganbei (干杯,«cul sec»). Aussi dès 16 ans Xiaonan, était bourré plus souvent qu’à son tour. Se réfugiant derrière sa carrière, sa molle mère prétendait ne rien voir. En 1981, à 19 ans, le jeune à son tour entra dans l’armée, ce qui ne fit rien pour le guérir de son vice. Au moins, d’une intelligence hors du commun, il parvint à combiner sa dépendance toujours croissante, avec une envie folle d’étudier, qui le rendit bientôt titulaire d’un diplôme de droit à Zhengzhou, d’ une maîtrise à l’Université de la Sécurité publique à Pékin. Il entrait dans la police nationale, officier d’élite marié à Meinü, de la brigade antidrogue, bientôt père d’un beau garçon.
La capacité de Xiaonan à absorber de telles quantités d’alcool avait ébloui la pauvre, qui dut bientôt déchanter. Chaque matin, il lui fallait ses 2 demi-litres de Maotai ou Wuliangye, alcools chers où passait son salaire. En cas de sevrage, Yang était pris par les symptômes du manque (tremblements, sudation, rage, délire)… Les 1ères années de leur union, Meinü parvint encore à le con-tenir. Mais au fil des ans, Yang dut monter sa dose, et apprit à faire violence pour obtenir son vin -ou après l’avoir bu.
Un soir de 1986, en état d’ivresse, il renverse en voiture une jeune fille : sa qualité de fonctionnaire lui permet de s’ en tirer en versant 7000 yuans de dommages.
Une nuit de 1989, buvant avec les collègues, il se dispute avec l’un. Il sort son revolver et tire, tandis que l’autre sauve sa vie en plongeant sous la table- la balle passe à 1cm de sa tête. Suite à quoi Yang s’endort… Il écope de 4 mois de suspension et d’un exil à un commissariat de campagne, où pour tromper l’ennui, il boit encore plus ! Réintégré à Pékin il fait subir aux siens le calvaire de tous les alcooliques profonds: pour une bouteille, il casse la tirelire de son fils, bat sa femme, lui arrache les cheveux, tire même sur elle avec l’arme de service – sans l’atteindre, heureusement.
Tant de fois avertie par téléphone, Meinü va le ramasser ivre mort dans la rue… Le haïssant, elle n’ose le quitter, par peur du statut de divorcée, des suites pour sa carrière.
Les choses sont si graves que le père s’arrache à sa retraite pour venir s’agenouiller devant Xiaonan, l’implorer d’arrêter, ne serait-ce que pour lui éviter de mourir de honte. Mais le fils, encore, se défile par des serments d’ivrogne. Enfin ses fautes répétées, et deux années d’échec au test d’évaluation usent la patience même de l’administration : il est licencié.
Meinü ne le quitte pas, et il ne quitte pas la boisson. Seule différence : les alcools qu’il s’envoie sont désormais de piètres gnôles. L’enfer continue ainsi jusqu’à cette nuit de 1998 où elle l’arrache à son somme éthylique, avec dans la main gauche, une bouteille du Wuliangye de ses années de gloire et dans la droite, un recueil des articles énumérant les étapes de sa déchéance. Le recueil portait comme titre manuscrit, « réveille-toi, mon mari ».
Au goulot, il se mit à boire, tout en lisant, et la honte lui monta au visage. C’était, il le savait, la dernière main tendue. Cette fois, il lui fit ce serment solennel : vaincre l’alcool ou mourir. Il avait 36 ans. Retourné à Xinyang chez ses parents, il se fit interner dans une maison de repos. Après 4 mois de lutte et de souffrances, la désintoxication était aboutie.
Pour repartir, les parents lui donnèrent les 1000 yuans de leur épargne. Il se lança dans un commerce de thé, et à force de talent et dur travail, disposait en 2003, d’1,29M ¥ de fonds de caisse et quelques employés. Assez pour réaliser le rêve de sa nouvelle vie : il ouvrit sa ligne téléphonique d’alcooliques anonymes, recruta des anciens buveurs pour tenir la permanence 24h sur 24. Depuis lors, jusqu’à ce jour, ils ont reçu chez lui, puis dans leur local pékinois, 30.000 personnes -même des étrangers. Un tiers, croit-il, aurait réussi à s’arracher.
Xiaonan est à présent une célébrité, sans cesse invité à la TV. Grâce aux fonds collectés, il prépare un projet, plus ambitieux encore : le 1er hôpital de Chine, entièrement dédié à la désintoxication éthylique.
Reste le souvenir de Meinü qui, le voyant sauvé, a enfin osé tirer un trait sur leur vie passée. Il le déplore, mais la comprend bien, et lui souhaite bon vent. Cette rupture, il la prend comme l’ultime prix à payer pour mí tú zhī fǎn (迷途知返) : « après avoir perdu la voie, savoir la retrouver » !
Sommaire N° 12