La Chine fut prompte à réagir à l’octroi du prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo (8/10).
Après 5 minutes de direct sur CNN et BBC (pour la poignée d’étrangers raccordés), les écrans virèrent au noir, exprimant le désarroi du régime. Car en juin à Olso, la vice ministre des affaires étrangères, Fu Ying avait discrètement signifié son désaccord. La semaine passée encore, un porte-parole rappelait qu’un tel vote discréditerait l’institution. Après toutes ces mises en garde, la sélection de Liu est pour Pékin une perte de face. Il devra expliquer à son opinion pourquoi un «criminel» incarcéré à Jinzhou (Liaoning) reçoit la plus haute distinction du monde. Fait rarissime, juste après l’annonce, l’Etat exprimait son sentiment «à chaud» sur cette distinction : un «blasphème».
Mais qui est Liu Xiaobo? Sous une apparence simple et humble, une personnalité forte et hors du commun. Dès 1989, jeune professeur d’université, il jouait un rôle moteur au printemps de Pékin puis négociait, la nuit du 3/06, le départ, sains et saufs, de centaines d’étudiants, de la place Tian An Men. Ce qui lui valut 18 mois de prison sans jugement. Ils ne le découragèrent pas de parler : de 1996 à 1999, il reprenait trois ans de prison pour avoir défendu des jeunes condamnés suite aux mêmes événements.
Radié de l’enseignement et interdit de publication, il reprenait la place de Président du Pen Club local et multipliait ses écrits politiques, obtenant plusieurs prix à l’étranger.
Puis venait en 2008, l’actuel emprisonnement, suite à sa plus audacieuse action. Avec 303 compagnons, Liu rédigeait une Charte 2008, inspirée de la charte’77 de V. Havel, qui proposait au régime un passage à la démocratie avec élections multipartites, fin de la censure et séparation des pouvoirs. Dans les semaines suivantes, elle obtenait 10.000 signatures de soutien : c’en était trop, et Liu écopait de 11 ans de prison pour « subversion ».
A peine connue le 8/10, la nouvelle du Nobel se propagea en Chine à la vitesse de l’éclair, via Twitter et par texto, dans les métros et trains, provoquant d’innombrables commentaires de joie et surprise.
Liu Xia, la compagne de Liu, remerciait le jury, Oslo et même Havel et le Dalai Lama (!). Très parlante, cette spontanéité montre la maturation des esprits en 10 ans : la fin de la peur, et la conscience croissante des droits du citoyen. Baotong, « pape » de la dissidence chinoise (ancien secrétaire de Zhao Ziyang, l’inspirateur de la réforme de Deng Xiaoping) affirma : « C’est un encouragement du monde libre aux citoyens chinois, qui va renforcer l’appel à la réforme politique au sein de la société civile ».
Une autre grande figure, l’artiste Ai Weiwei fit ces commentaires très forts, peut-être prophétiques: « cela fait 60 ans que ce pouvoir refuse de nous écouter… C’est un gouvernement composé de gens qui refusent d’être rationnels. Mais ils doivent aujourd’hui réaliser que la population ne tient plus compte de ce qu’ils pensent ».
Enfin certains, dans la frange dure du régime, doivent regretter d’avoir fait condamner Liu. Car désormais, les pressions internes et extérieures vont s’accumuler pour réclamer sa libération. Et quand il sortira, cet homme comptera parmi les rares personnalités d’envergure, non compromises, capables à l’avenir de jouer un rôle d’alternance. Et cette figure indépendante, c’est le système qui l’aura générée.
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