Cet après-midi d’automne 1972 à Luoyang (Henan), deux amies de Wang Lingxia coururent vers elle fort excitées : près de cette mine de charbon que visitait leur classe, elles venaient de rencontrer son sosie… Elles trois, se précipitèrent sur les lieux, sans la retrouver : elle s’était éclipsée -peut-être honteuse du noir sur sa face, car elle ramassait le poussier tombé des camions. Les amies l’assurèrent qu’elles savaient comment la retrouver : ce n’était que partie remise.
En fait, ni Lingxia ni Qiaoling (nom de sa sosie) n’avaient été vraiment étonnées de cette quasi-rencontre: ce n’était pas la 1ère fois qu’elles entendaient parler l’une de l’autre. Comme ce matin en ville, où une vieille avait apostrophé Qiaoling, puis voyant sa mine ahurie, s’était éloignée, ajoutant qu’elle «ressemblait comme 2 gouttes d’eau à Wang Lingxia».
Les amies tinrent leur parole. Des semaines plus tard, ayant retrouvé Qiaoling, la rencontre eut lieu, libérant une incoercible émotion: à une longueur de cheveux près, elles étaient le portrait craché l’une de l’autre jusqu’à la fossette entre les sourcils. Seraient-elles soeurs? C’était possible, toute deux étant adoptées. Mais des détails clochaient, telle la différence d’âge dans leur Hukou, 15 ans pour Lingxia, 14 pour Qiaoling. Lingxia était d’ethnie Han, Qiaoling, Hui musulmane. Et autant Lingxia l’aînée, était meneuse et optimiste, autant la cadette exprimait un caractère introverti et craintif. Cela ne les empêcha pas de se prendre par la main et de ne plus la lâcher, comme soudées d’un lien indestructible. Désormais quand la mère de Lingxia achetait une tenue, il fallait la même pour sa soeur -généreuse, la mère se pliait de bonne grâce à sa lubie. De même Qiaoling, forcée à travailler jeune, dépensa souvent son salaire à des vêtements par paire.
Elles se marièrent la même année (1980), avec des gars du même corps de métier (taxi). Comme pour brouiller les pistes, celle qui était Hui se prit un Han, et celle Han, un Hui. Au fil des ans, elles se découvrirent d’autres similitudes profondes, voire biologiques : le même groupe sanguin « O », ou la même rhinite chronique.
En 2000, leur lien fut salutaire, quand Qiaoling perdit son job et Lingxia son époux : elles se soutinrent pour éduquer leurs enfants, se nourrir, se consoler..
Un beau jour de 2006, Lingxia voulut saisir leur chance. Tant pour briser ces années de vaches maigres que pour en avoir le coeur net, elle répondit à TV-Jiangsu en quête de «soeurs de coeur». Les voyant arriver, les présentatrices de «Voyage d’émotion» devinèrent le scoop potentiel : elles leur offrirent un test ADN, sous réserve de ne révéler le résultat que sur le plateau de télé. Ce qui fut fait le 16 mai : elles étaient bien soeurs biologiques, nées des mêmes parents et dans la même heure.
Ce reality-show aurait pu être une fin : il fut un redépart. Les années suivantes, Lingxia se mit à la recherche de la famille, via l’internet auquel elle s’initia.
Le fruit a fini par tomber récemment, infirmant les pessimistes pronostics de Qiaoling : Jia Xueqing leur frère s’est présenté à elles, lui aussi adopté mais ayant eu la chance de garder le contact. Le berceau familial était Xiaxun, hameau du Jiangsu. La dispersion des mômes aux quatre vents résultait du Grand bond en avant de ’58, quand le Grand Timonier avait fait fondre toutes les houes et araires, provoquant ainsi une famine où périrent des dizaines de millions de paysans. Dans ce climat d’extrême disette chaque naissance nouvelle avait forcé leurs parents, déjà misérables au départ, à les placer.
Hélas décédés depuis quelques années, ils n’étaient plus là pour s’émerveiller de l’aimant tout puissant qui avait attiré les jumelles l’une vers l’autre, «lien indissociable du destin» (不解之缘 bù jǐe zhī yuán).
Ils n’avaient pu non plus goûter le bonheur suprême, qu’on dirait de par chez nous un « cadeau de Noël », de leur foyer reconstitué…
Sommaire N° 40