Comme chaque mois de juin en Chine, c’est le temps du Gaokao (高考, baccalauréat) avec ses rires, ses pleurs, son folklore. L’issue de 9 ans d’études, le sas vers l’université. Ils étaient 9,57M à franchir l’épreuve, ces 7-8 juin, entre 320.000 centres d’examen. Pour la famille, c’était l’heure de vérité : en Chine, sans université, point d’avenir.
Aussi les parents ont-ils loué une chambre d’hôtel pour leur poulain, l’abreuvent de produits renforceurs de mémoire, vont prier à l’église, au temple taoïste, leur offrent des séances de massage ou d’oxygène. Les mairies ont fait fermer les chantiers, les cafés internet. Rien n’a été négligé pour assurer des conditions d’épreuve optimales.
Faits de QCM en deux options (lettres, et sciences), les deux jours d’exam sont raisonnables et équitables. En rédaction, la session 2010 a offert des sujets rivalisant d’imagination : « pour le chat (blanc ou noir), pourquoi chasser la souris, quand on a les poissons ?», ou encore «une fois adultes, les oiselets donnent la becquée aux parents vieillissants : les enfants peuvent-ils eux aussi nourrir leurs parents de ce qu’ils ont appris »?
On voit aussi cette année ce « bac » progresser en un domaine inévitable comme le chiendent : la triche. Par milliers à travers le pays, furent saisis les gadgets offerts sur internet, fausses lunettes récepteurs, stylos-scanners, oreillettes… 64 imposteurs furent arrêtés. Même si 68% de ces jeunes sont assurés d’une place en fac, certains espèrent, en trichant, obtenir une meilleure université.
Signe des temps: les gardes«bao’an» recrutés pour protéger les candidats d’éventuels assassins, après 17 infanticides ces derniers mois. Quoique les jeunes aient moins à craindre d’autres, que d’eux-mêmes : croyant avoir échoué, trois d’entre eux s’ôtaient la vie dès le 1er soir.
Détail significatif : ces 10M de jeunes sont 650.000 de moins qu’en 2009, et c’est la 2de année en baisse. L’érosion des effectifs a trois raisons fortes :
[1] le recrutement s’amenuise lui aussi, à mesure du succès du planning familial. Les 132M d’élèves primaires de 1995 ne sont plus que 100M cette année. On note au passage que 90M n’arrivent pas au bac, sacrifiés au « marche ou crève » du système chinois.
[2] l’offre étrangère, dernière mode : l’émigration scolaire. Pour les parents aisés, c’est un « vote avec les pieds », vers une école plus libre, suivie d’études supérieures et pourquoi pas, d’un passeport. Ils sont 229.000 cette année, payant 20 à 50.000$ pour ce privilège (+27%) ; sans compter les écoles étrangères qui se glissent en Chine dans l’enseignement supérieur…
[3] compte aussi le chômage croissant, une fois diplômé. Officiellement 87% trouvent du travail (chiffre douteux), souvent sous-qualifié et sous-payé. Dans ces conditions, pourquoi s’astreindre à un tel parcours du combattant?
Tout ceci amène à une conclusion imparable: cette université chinoise paie un lourd prix pour avoir longtemps privilégié la quantité sur la qualité, et être restée écrasée sous le carcan administratif et du Parti. Une université percluse de plagiat, combines ou jobs au noir. Selon un sondage, 59% des néo-diplômés estiment qu’aucune université de Chine ne peut se mesurer au niveau mondial…
Sous la baguette du recteur Zhu Qingshi, à Shenzhen, une réforme nationale est dans les langes (cf VdlC n°11), pour rectifier ces tares. A condition que le régime ait le courage de briser son propre monopole du pouvoir…
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