Petit Peuple : Songzhuang : la vie neuve de Fan Ting

En cet été qui craque sous tension sociale et canicule, une aventure est suivie et applaudie par toute la Chine, censure comprise : celle d’une jeune financière pékinoise qui prétend réin-venter la vie, rien de moins. Dégoûtée par ses colonnes de cotations boursières, Fan Ting, à 26 ans, ne supportait plus la médiocrité de son existence, ses heures de bureau (pour payer son exorbitant loyer sur Xizhimen avec Xiao Ma son compagnon), train-train coupé que par ses 2 séances par semaine d’ aérobic et une virée au supermarché pour recharger le frigo. Fan Ting rêvait de vie bohème.

En août 2009, elle lança sa bouteille à la mer : « Je ne veux plus de pollution, professait-elle sur internet, -ni gâcher ma vie davantage. Je veux jardin, ciel bleu, un groupe d’amis choisis autour de moi, en banlieue. Qui m’aime me suive » !

Sans s’en rendre compte, Fan Ting reproduisait une démarche utopique tentée par tant d’autres avant elle. Et pour les mêmes raisons qu’eux : elle appartenait à une jeunesse assurée de ses besoins vitaux, et réclamant davantage, l’aventure d’une vie de groupe.

Fan s’aperçut vite qu’elle venait de provoquer un séisme dans les entrailles de l’humanité. En retour, elle reçut des centaines de messages d’encouragement ou de candidatures aux motivations variables : vivre moins cher, retourner à la nature, ou composer sa thèse. Avec quatre disciples, elle chercha, et trouva au bout de quelques semaines le site idoine : Songzhuang, à 17 km de la ville, une ex-ferme d’Etat des années ’50, courée de brique autour de quoi s’articulaient une dizaine de cellules monastiques, une ex-étable, une grande remise. Côté sud, l’indispensable potager donnait sur la colline plantée en pêchers et abricotiers : tous ces trésors ne coûtaient que 2000¥/mois, avec en prime le bus direct, la boutique du coin, à deux pas , l’électricité fréquente, l’eau courante et cerise sur le gâteau, l’internet.

Ils ont donc déménagé. Désormais, au lieu d’être muselé dans l’appart avec sortie à l’aube et à la nuit faute d’être légalisable, Lehman son corniaud (nommé selon la banque devant laquelle Fan l’a trouvé quelques mois plus tôt) peut vadrouiller dans la cour et saluer de ses abois le moindre visiteur.

Fan Ting a réorganisé son existence selon ses rêves : ni grande bouffe, ni sexe libéré, mais un plan étrangement sage et réglé. Chaque matin à 5 heures, elle se lève pour la promenade avec Lehman (à qui elle a appris le silence, pour pouvoir observer pies et lapins). Selon la saison, elle rapporte parfois champignons, fruits, une gerbe de fleurs. Puis vient le petit-déjeuner, et son départ en tailleur châtié, dans le bus de 6h30. De retour 12h plus tard, elle repasse jean et T-shirt, change d’âme et de langage, et bricole : lecture, cuisine, autres tâches. Elle a rédigé la charte du lieu, définissant partage des corvées et des frais, et des règles de sélection des nouveaux membres.

Petit ratage : en quelques semaines, un à un, les 1ers volontaires ont quitté le navire, préférant leur monde civilisé et craignant de s’en retrouver oublié. Seul lui est resté Xiao Ma, son homme.

Le bonheur est là quand même. Le week-end, c’est la marée haute des amis venus planter les haies, apporter des meubles, faire la cuisine, rebâtir la porcherie en café-théâtre avec bibliothèque, cheminée, scène, un mur aux dazibao, un autre chaulé blanc, pour le cinéma. Ses copains ne sont plus ceux de la gym ou du bureau, mais des artistes : un prof-poète, un peintre voisin, un architecte (qui se retient d’emménager, par peur que Lehman ne croque ses chats)… Au dessert, Xiao Ma gratte sa guitare, chante du Lennon dans le texte (« you may say I’am a dreamer/ but I’m not the only one »), repris en choeur par toute la bande…

Fan Ting n’a aucun doute, on va la construire, cette cité nouvelle : ce sera «faire du passé table rase » (comme chantaient ses parents quand ils étaient jeunes), et recréer, selon le proverbe, son « jardin des pêchers hors du monde» (世外桃源, Shìwài táo yuán) – sauf qu’ elle, l’aura fait sur Terre !

 

 

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
9 de Votes
Ecrire un commentaire