Temps fort : Chronique de la mort annoncée du Hukou

Avec une réactivité surprenante, le pouvoir a réagi aux explosions sociales récentes, à la vague d’infanticides, à l’épidémie de suicides – Foxconn, et à la grève Honda.

La presse évoque le «coefficient de Gini», l’écart de biens entre pauvres et nantis. A 0,5, ce coefficient en Chine a dépassé la cote d’alerte de 0,4 où la stabilité sociale ne peut plus être assurée. Entre autres, la partie salariale du PIB (celle distribuée en salaires) aurait régressé de 56,5% en 1983 à 36,7% en 2005. Le reste étant empoché par les caisses des entreprises et l’appareil. «Or,» dit Yang Yiyong, directeur d’un centre de recherche de la NDRC (National Development and Reform Commission), «ces problèmes sociaux … résultent de … l’écart de fortune ».

Accusé, le «hukou» 户口, carte d’identité résidentielle en vigueur depuis les années ’50. C’est elle qui permet aux villes de discriminer le paysan migrant, le privant des services de base. Une ville comme Shenzhen n’a que 3millions de citadins légitimes, face à 12millions de citoyens gris privés d’hôpital, d’école pour leurs enfants, de couverture maladie ou chômage. Ils ne peuvent non plus épouser une fille de la ville (dont même les parents vont imposer la rupture). Son salaire est plus bas, son emploi plus dur, et l’envolée de l’immobilier leur interdit l’achat de logis.

Cependant, cette discrimination systémique menace aujourd’hui de paralysie la machine sociale -industrielle, voire politique. Avec une rapidité suspecte, Honda comme Foxconn ont instantanément procédé à une forte réactualisation du salaire, indice d’un marché de l’emploi qui bascule en faveur du demandeur. Selon Merill Lynch, la classe d’âge de 30 à 39 ans, où se puisent les cohortes des migrants, a régressé de 22% en dix ans. En même temps, nombre de ces ruraux trouvent désormais des usines à leur porte, en Chine du Centre : plus besoin d’aller migrer dans la jungle sans coeur des métropoles de la côte. L’Etat voit un autre handicap émerger dans la pauvreté des migrants: leur incapacité à consommer davantage, et donc renforcer le marché intérieur pour relayer celui perdu à l’exportation…

Or, on l’a dit, l’Etat a réagi vite et fort – comme s’il venait de subir un électrochoc. Par exemple, au 1er juillet, le salaire minimum dans Pékin augmente de 20% à 960¥ -100.000 bénéficiaires sont attendus. D’autres hausses comparables sont enregistrées ailleurs dans le pays. Ceci est une des 1ères mesures d’une stratégie de la NDRC, de correction de la distribution de la richesse nationale, qui pourrait être inscrit au plan quinquennal (2011-2015) et qui devrait aussi réviser la taxation des bas revenus, et introduire celle de l’immobilier spéculatif. Dès le 31/05, le Conseil d’Etat émet des lignes directrices enjoignant les villes à ouvrir leurs services de bases aux migrants. Plus tard, le hukou laissera place à la carte d’identité citoyenne– quand la sécurité sociale sera accessible à tous, entre autres. Probablement accéléré par les dernières explosions sociales, ce projet se discute depuis des années dans 6 ministères, parmi lesquels sécurité publique, agriculture et protection sociale. Il s’agit d’un remodelage fondamental des règles du régime, avec des implications encore mal perçues pour les droits du citoyen.

Comme tout défi de tel ampleur, lancé dans l’urgence de surcroît, le virage prendra des décennies à se matérialiser. Il a au moins l’avantage de marquer la fin d’une injustice historique : c’est un des aspects « non durables » du système socialiste hérité de Deng Xiaoping, qui entame son démantèlement, pour éviter l’implosion du régime !

 

 

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