En bonne tradition, le « briefing » du Premier ministre Wen Jiabao devant la presse (14/03, Grand Palais du Peuple) aurait dû durer 90 minutes et s’en tenir au bilan 2011-12, à l’état du pays, à ses rapports au monde. Au contraire, cela devint un fascinant discours de 3 heures, alliant sincérité et métier, émotion et effets de manche : le testament politique d’un leader tentant d’assurer sa place dans l’histoire.
Surdoué dans l’art de la survie, Wen Jiabao joue depuis toujours de ses deux facettes contradictoires, fidèle exécutant d’une «Realpolitik» conservatrice, et défenseur romantique d’une réforme introuvable. En mai 1989 sur la place Tiananmen, il était bras droit du 1er Secrétaire Zhao Ziyang, l’artisan de la politique d’ouverture de Deng. Limogé ensuite avec tous les libéraux de l’époque, Wen fit en 14 ans un come-back unique dans l’histoire chinoise, parvenant à réintégrer le club du pouvoir et remonter jusqu’au poste de patron du Conseil d’Etat en 2003.
La conférence-confession débuta sur un mélange de fierté et regrets, ces derniers pour des échecs (inflation, corruption, ou avoir mené une politique en désaccord avec ses idées ?) : « J’ai toujours ressenti que bien des tâches restaient en suspens. Pour tous ces problèmes économiques et sociaux advenus sous mon mandat, j’assume la responsabilité. D’aucuns apprécieront, d’autres critiqueront—l’histoire jugera ». Humilité vraie ou fausse, Wen assure ses successeurs de sa confiance dans leur capacité à faire « bien mieux que lui ».
Évoquant le programme de ses derniers mois aux affaires, Wen Jiabao déclare vouloir affranchir de certains problèmes la prochaine équipe de Xi Jinping.
D’ici l’été, il prétend publier un règlement de répartition plus équitable du PIB, un règlement de protection de la propriété foncière des paysans, de nouvelles mesures d’élimination de la pauvreté. Il promet aussi de réaliser l’antique promesse du régime, maintes fois réitérée et oubliée : porter l’enveloppe de l’éducation à 4% du budget public. Ailleurs, il prétend maintenir l’austérité sur le marché foncier dont les prix restent encore loin du raisonnable, ceci afin d’éviter le crash et le chaos. Il promet aussi, d’ici l’été, une fluctuation « bien plus ample » du yuan, dont le cours aurait désormais « plus ou moins atteint son équilibre » par rapport aux devises mondiales.
La dernière surprise de taille toucha à la Syrie. Jusqu’à présent Pékin, avec Moscou, bloque au Conseil de sécurité toute initiative pour protéger les populations des chars de B. el-Assad. Aussi, avancer comme Wen le fit, que « la Chine ne cherche à protéger aucun parti, pas même le gouvernement syrien», avait de quoi frapper. Il alla même plus loin, posant en point de vue officiel que « les tueries de civils doivent immédiatement cesser » et que Pékin respecte les aspirations « légitimes » du peuple syrien au changement. La demande en démocratie du «peuple arabe» devait être respectée, et Wen ne croyait « pas que cette demande puisse être étouffée par la force ».
C’était la 1ère fois que la Chine s’exprimait positivement sur la révolution arabe. Une telle position, si elle se maintient, peut rétablir coopération et confiance, sauvegarder l’image de la Chine dans le monde arabe. Il y a du chemin à faire, après l’inscription en lettres rouges par les insurgés de Homs sur les ruines de leur ville, du message « Thank You, China ».
Sommaire N° 10