Environnement : Quand l’ordure chinoise deviendra Or..

Pour l’instant encore,  mais peut-être plus pour très longtemps, la Chine étouffe sous ses dizaines de milliers de dépotoirs illégaux, montagnes de déchets aux fumets délétères autour des villes qui les alimentent.

C’est une image miroir, à double reflet : côté jardin, les Chinois dévorent un bien-être sans précédent et consomment toujours plus. Mais côté cour, le volume des ordures non retraitées atteint un point de non-retour. Il faut faire quelque chose. Heureusement, le sursaut est en cours. 

Exemple à Shanghai   : cette Mecque chinoise de l’efficience technologique a mis au point et lancé ses programmes de collecte sélective, invitant l’usager à trier ses déchets (entre ‘humides’ et ‘secs’), supprimant ainsi un obstacle majeur de la chaîne de retraitement. Sur les 22.000t/jour d’emballages et déchets des 22 millions d’habitants, 10.000t vont à la décharge légale, 7000t (30%) sont triés par les hordes de chiffonniers qui vivent du carton, plastique, verre et métaux. Enfin, 3000t sont traités en cinq incinérateurs  « verts », soucieux de l’environnement. Restent encore des usines incompétentes et/ou malhonnêtes qui déversent leurs effluents en terre ou dans les rivières, comme ce fut le cas mi-février à Pudong (49 enfants atteints de botulisme). Mais en 20 ans, cette pratique a cessé d’être la norme, pour devenir délictueuse. Au plan national en 2011, selon les statistiques, déjà 71% des déchets municipaux collectés sont traités.

Pékin aussi est en passe de gagner le combat contre son malodorant dragon. La capitale génère 17.000t de déchets/j, en hausse de plus de 5%/an. Jusqu’à très récemment, elle les empilait en des milliers (si-si !) de petites collines. En 2010, le photographe Wang Jiuliang en visitait 400 en couronne autour de Pékin, qu’il appelait par dérision le « 7 ème périph » (cf points jaunes sur la prise de vue aérienne), immondices qui polluaient la nappe phréatique en sous-sol. Mais la photo suggère aussi que les sols propres et vierges viennent à manquer, pour les serres et champs de  légumes, voire pour les nouveaux quartiers résidentiels. La plupart des cités satellites récentes sont bâties sur une « grande Muraille » des ordures datant de 10 ans, avec tous les désagréments et surcoûts que cela implique.

Autant, Pékin a dormi sur son problème pendant 30 ans, autant le réveil est vif, et les solutions adoptées depuis 2005 sont cohérentes. Quatre parcs de retraitement voient le jour aux quatre coins cardinaux, combinant recyclage, compostage et incinération. À l’Ouest, Lu Jia Shan (Mentougou) ouvrira en octobre. Financé par Shougang (aciéries de Pékin) pour 317 millions$, ce plus grand incinérateur d’Asie brûlera 3000t/j de déchets secs, 25% de la production municipale, et en tirera 300MW. Lu Jia Shan a été bâti sur un terrain de Shougang, peu peuplé. D’ici 2015, la ville veut brûler 40% de ses déchets et porter sa capacité à 30.000t/jour. Autrement dit, au lieu d’enterrer à 80% les déchets comme en 2011, Pékin prétend d’ici 2015 en reconvertir 55% en leur matière d’origine, ou en énergie. Au niveau national, le XII. Plan prévoit la récupération de 7 milliards de tonnes de déchets solides industriels dès 2015, double du chiffre de 2010.

Mais rien n’est simple : avant d’atteindre ce résultat, une série de problèmes devront être réglés, tel le rejet des incinérateurs par les riverains. Quoique de qualité mondiale, la centaine d’incinérateurs actuels en Chine, made in China, a renoncé pour raison de coûts au filtrage intégral des fumées. De ce fait en 2011,       Panyu, commune riche deCanton a réussi à faire échouer l’implantation d’un incinérateur sur son sol. On devine la course contre la montre engagée, à mesure que les riverains apprennent à dire non : équipements collectifs, contre lobbies de quartiers.

En même temps, ville et Etat doivent mener double croisade, auprès des industriels et commerçants pour alléger les emballages, puis et auprès des usagers pour les amener à restreindre leurs déchets, et à les trier. Ici, les outils sont la formation, la fourniture de conteneurs sélectifs, et le prix, qu’il faut ramener à son coût de revient. Au 01/01, usines et collectivités payaient 25 ¥/t pour le ramassage de tout déchet, soit le quart du coût réel (au titre d’une vieille tradition de fourniture des services municipaux à prix socialiste, ramassage des déchets mais aussi eau ou énergies). Puis ce mois-ci, la taxe a plus que triplé à 90¥/t, sauf pour les déchets alimentaires triés. 2014 verra encore un bond en avant (triés à 90 ¥ /t, autres à 180 ¥ /t). Les restaurants refusant de trier seront d’abord verbalisés de 5000 à 50.000 ¥, avant de risquer le retrait de la licence. Pour les foyers, la taxe de 66¥/an ne montera qu’à partir de 2013 -la mairie espère former les usagers à stabiliser leur volume de déchets d’ici 2015.  Le système prétend aussi éliminer des fraudes telles les huiles « de caniveau » usées, remises en vente après filtrage. D’autres problèmes apparaissent à la planification de la chaîne, trop complexe pour être mise en place du 1er coup sans bavure. Ainsi conçues pour les volumes actuels, les chaudières des incinérateurs ne suffiront plus pour l’objectif de tri ‘sec‘ de 2015. « À terme, prédit cet ingénieur chez Veolia, la notion de déchet disparaîtra, remplacée par celle de valeur ».  

On voit donc émerger en Chine un marché des déchets, concentrant et privatisant une activité atomisée entre des  milliers de services municipaux. L’étranger s’y est déjà fait une modeste place, comme Veolia avec 2% du marché national… mais 80% à Shanghai (avec une décharge, un incinérateur). D’autres parcs à Canton, Foshan et Qiuqiang sont des investissements encore peu rentables, mais pari sur l’avenir.

Il faudra 20 ans pour que se réalise à travers le pays cette intégration du riverain au cycle des déchets, approche « participative ». D’ici là, la Chine sera plus proche d’une économie « à bas carbone » où le bien-être général dépendra de la coopération entre Etat, collectivités et habitants. Mais pour son effort de discipline, le citoyen réclamera sa participation aux affaires de sa cité : c’est tout un style de gestion sociale, qui doit changer !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
13 de Votes
Publier un commentaire
Ecrire un commentaire