Petit Peuple : Les tribulations d’un Chinois en Chine

Dans les années sombres qui suivirent juin ’89 à Pékin, Tian, jeune officier de l’armée de l’air qui s’était compromis dans les manifs de la Place TAM, émigra avec les siens.

Son fils Lian—notre héros- grandit à Leeds, Royaume-Uni. Pour ses parents, le choc fut fort. Au lieu d’un foyer vibrant de démocratie, ils trouvèrent une ville glauque grouillant de punks, de filles-mères ivres à la Ken Loach. Et surtout, contre eux, les immigrants, un racisme feutré.

Après 10 ans, le couple repartit pour Terre-Neuve, Canada. Autre monde, autre déception : c’était une île sinistrée, qui ne se remettait pas de l’épuisement de sa pêche à la morue. A St John, Lian eut encore de belles années à souffrir de sa différence, et s’interroger sur ses racines.

Enfin à Toronto, la 3ème étape fut la bonne. Il put entrer à l’université (en économie, sans conviction), se faire des amis, comme tout le monde. Après les années de vilain petit canard chinois, il put enfin se fondre dans la masse, devenir quelqu’un d’heureux et sans histoire.

A la fin des études, il fit LE trip à travers l’Europe, must de tout jeune diplômé nord-américain qui se respecte. Mais de retour à Toronto, il fut pris d’une drôle de crise. Soudain, il se découvrit une envie urgente de ne rien faire, et une absence existentielle de désirs : au moment d’entrer dans la vie terne à laquelle il aspirait depuis toujours, il en palpait la vacuité.

Chez ses parents, il partagea des mois oisifs, entre la peinture et l’écran de CNN. Et c’est là que le rattrapa la Chine, sous forme d’une rage mal contenue. Dans les sujets de la chaîne, il retrouvait le préjugé, le péril jaune de son enfance. Naquit alors le projet de rentrer au pays : pour « filmer et montrer aux blancs, la vraie vie chinoise ».

Chez les grands-parents pékinois, Lian débarqua avec sa valise, trois mots de mandarin (à l’accent anglais), et un script. Il ne doutait pas de pouvoir tourner, monter son film au bout de trois mois, lequel s’imposerait tout de suite par sa qualité magique : à lui, la gloire ! Il allait vite déchanter.

A la dure, il dut réaliser que ses cousins et guanxi (contacts) au sourire invariable ne disaient jamais non, mais ne l’aidaient pas. Ils n’objectaient jamais, mais ils avalaient ses discours comme des coups de poing dans un polochon. Par derrière, ils se moquaient du « faux Chinois d’Amérique, jaune dehors et blanc dedans» et sur qui il n’y avait rien à gagner. Quant à sa prétention de donner enfin au monde sa précieuse image du Céleste Empire, elle était ridicule. Lian réalisa alors que cette Chine n’avait nulle envie d’arracher à l’Ouest ses illusions de supériorité sur elle. Elles lui convenaient fort bien, lui permettant de gagner du temps pour avancer et combler son retard. Aussi après quelques mois, il dut bien se rendre à l’évidence — il n’aurait ni crédits ni équipe, ni film !

Pas question pour autant pour le jeune, de retourner au pays à la feuille d’érable, ruiné et la tête basse. Il s’essaya alors à la carrière d’acteur. Là aussi, assez vite, il mordit la poussière. Faute d’avoir prévu les millions de rivaux pistonnés, de fils de Secrétaire, frais émoulus des écoles de cinéma de Chine, voire d’Amérique : concurrence déloyale, sur un marché bouché. Si la Chine cinéaste voulait des étrangers, il les lui fallait blonds – roux à la rigueur, et aux yeux bleus. En aucun cas bridés.

Enfin en 2012, Lian a peut-être trouvé sa voie. Synthèse de ses tendances d’artiste et de businessman, il s’est lancé dans le blouson « hip-hop » qu’il dessine et fait produire localement pour exporter vers le Japon et les USA. Il ne veut surtout pas vendre sur place «les Chinois ne sauraient pas apprécier », fait-il, acide.

Et cette fois ça marche, les ventes suivent. Au prix de cet aveu enfin accepté : son seul vrai pays n’est pas celui du sang, mais celui du sol.

Et c’est à la Chine, terre de ses ancêtres qu’il doit cette leçon. Car c’est elle, en rejetant sa différence, qui lui a donné la force d’accepter enfin sa vraie nature, celle d’un étranger. Ce changement radical, bouleversement philosophique, se dit en chinois : « changer d’os et d’existence  » ( 脱胎换骨, tuō tāi huàn g ǔ) !

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