La priorité n°1 de la censure de février va à l’affaire Bo Xilai, suite à la fuite de son bras droit Wang Lijun, au Consulat des USA à Chengdu le 6/02 (et non le 8/02, comme nous l’écrivions au VdlC n°5). Bien aidé par le silence des Etats-Unis, l’Etat minimise le scandale, « incident isolé ». En interne, il négocie le sort du patron de la plus grande ville du pays, et celui de Wang, ramené de ce Consulat à Pékin sous la protection de la sécurité d’Etat.
Quelques faits viennent éclairer la situation.
À Chongqing, Wang Lijun est remplacé comme chef de la police par Guan Haixiang, sans expérience policière, mais issu de la Tuanpai (Ligue de la Jeunesse). Après Wang, ce fut à Ding Xianjun, vice-Secrétaire Général du gouvernement municipal d’être déposé, sans que ne soient précisés la raison ni l’auteur du limogeage (Bo, ou Pékin). Enfin, la rumeur prête à Bo un successeur désigné à son poste de Secrétaire de Chongqing, à partir de mai – Zhou Qiang, patron du Hunan, autre proche du Président Hu.
Bo est apparu au Journal Télévisé du 21/02 au soir, en session du Bureau Politique, prenant des notes. Il serait monté à Pékin s’excuser devant ses pairs, se mettre à disposition de la justice du Parti. Et présenter une démission, qui reste en suspens.
Entretemps, il sauve les apparences. Six jours après avoir reçu le 1er ministre canadien St. Harper (11/02), il accueille un hôte du PC vietnamien avec une aisance remarquable, qui peut porter deux sens : [1] soit Pékin a déjà tranché à son sujet – le perdant serait Wang Lijun, pas encore dénoncé, mais déjà privé de son titre de « camarade » ; [2] soit toute journée gagnée sans se voir désavoué, permet à Bo d’espérer l’oubli collectif des journées dangereuses qu’il vient de traverser.
Il reste cependant improbable que cette crise reste sans épilogue. Ne serait-ce qu’en raison de la chute d’autres apparatchiks dans des circonstances historiques comparables : en 1995, celle de Chen Xitong, Secrétaire de Pékin, en 2006, celle de Chen Liangyu, Secrétaire de Shanghai. L’un faisait obstacle à Jiang Zemin, l’autre à Hu Jintao. L’un et l’autre tombèrent à quelques mois d’un Congrès, accusés de corruption, condamnés respectivement à 16 et 18 ans de détention.
En partie improvisé (la fuite de Wang au Consulat), en partie planifié (l’enquête contre lui), le scénario en cours a pour enjeu le renouvellement de l’équipe dirigeante au XVIII. Congrès d’octobre, où Xi Jinping succédera à Hu Jintao.
Xi n’était pas le dauphin de Hu, qui lui préférait Li Keqiang. Mais nous croyons que l’actuel Président s’est accommodé de la situation, par sens de l’Etat et par conviction de pouvoir conserver à l’avenir son influence, au travers des hommes qu’il a implantés aux postes-clé -comme l’avait fait Jiang en son temps. On a donc entre Xi et Hu une coopération, un minimum d’entente.
Au coeur du typhon, le « modèle de Chongqing » inventé par Bo, est menacé. Bo est l’idole de la vieille gauche qui aime la relance d’une culture Mao et l’éradication de la mafia. Il est aussi figure de proue des « petits princes » de 2nde génération, qui admirent l’impulsion donnée par Bo à la croissance de Chongqing, ses créations d’emplois par et pour les migrants (logements sociaux, santé, éducation).
La fuite de Wang Lijun découlerait d’une enquête de la CCID (Commission Centrale d’Inspection de la Discipline ) sur Gu Fenjie, son successeur à Jieling (Liaoning). Gu avait pris 12 ans pour malversations, mais selon des fuites, c’était Wang qui était visé, et derrière lui, Bo Xilai. Wang se serait sauvé de Chongqing après avoir réalisé que Bo tentait de le lâcher.
Aujourd’hui, réverbéré de Taïwan, la rumeur courait dès janvier 2012, que Bo Xilai, assuré de sa place au Comité Permanent (l’organe suprême) allait hériter du poste de Zhou Yongkang, «tzar» de toutes les polices. De là, il aurait préparé un virage national à gauche, assez fort pour faire plier le nouveau 1er secrétaire en personne…
Sous telle voilure, il n’est pas trop difficile d’imaginer de qui, de quelle alliance, émanerait la situation périlleuse, où Bo Xilai se débat à présent !
Sommaire N° 7