Petit Peuple : Harbin : Yang fait de deux pédalos à la fois

Au début des années ’90, afin de survivre à l’extinction des fonds publics, les hôpitaux chinois se sont rués vers le marché de la greffe d’organe, qu’ils facturent au tiers du prix au client d’Asie, d’Amérique ou d’Europe, attirant ainsi chaque année des milliers de candidats à un sursis de vie.

Mais avant de voir débarquer les riches malades, il faut faire ses preuves. En 1998, c’est ce que voulait faire cet hôpital de Harbin (Heilongjiang), s’apprêtant à sa 1ère  transplantation cardiaque. Manquant de pratique, les carabins tremblaient à l’idée d’un échec, qui leur ferait rater leur entrée sur ce marché.

Aussi avaient-ils décidé de limiter les risques. Comme sujet, ils avaient pris un paysan sans le sou, Yang Yuyong (nom d’emprunt), et lui avaient proposé un marché aussi généreux qu’étrange. L’intervention serait gratuite. S’il survivait, il devrait vivre à demeure sur place – pour tester la médication post-opératoire, et comme réclame vivante du savoir-faire de l’hôpital. En compensation, et pour payer les traitements anti-rejets importés à prix d’or, Yang recevrait 4M¥ par an.

Les médecins pensaient faire une bonne affaire : s’il survivait, ce ne serait pas pour plus de quelques mois, peu d’années au plus… L’avenir se chargea de leur démontrer la faiblesse de leur calcul. Non seulement Yang récupéra à vitesse record, mais il fut pris d’une fringale de vie qu’il n’avait pas avant, apprit à danser,  conduire une voiture, se remit à tâter de la dive bouteille, à rechercher les faveurs de jolies demoiselles… Bientôt, n’y tenant plus à cette vie sédentaire, il investit avec son pactole dans une boutique, en plein coeur de l’hôpital (bravant les supplications des toubibs), vendant à prix exorbitant les paniers de fleurs, fruits, et sous le comptoir, les cigarettes et 白酒 baijiu, alcools blancs…

Six ans après, la santé de fer de Yang poussa au désespoir les hommes en blanc, voyant leur profit si durement gagné, dévoré par leur ingrat malade. Cauteleux, tournant autour du pot, ils vinrent le voir dans sa mansarde, pour lui signifier leur décision terminale : Yang allait devoir refaire sa vie ailleurs : ils lui coupaient les vivres, et le priaient de décamper avec son échoppe à roulettes – sur le trottoir d’en face, par exemple.

Yang alors,  leur asséna la réplique qu’il affûtait depuis tant d’années, et qui les acheva: s’ils le faisaient, il interromprait son traitement. Ainsi, sous 3 mois, il quitterait ce monde de douleurs -mais non sans avoir prévenu tous les sites et média médicaux, de la nullité de leur traitement. Après ça, nul riche nippon, canadien ni koweiti, ne viendrait plus jamais leur confier son faible coeur…

Vaincus par son chantage, les chirurgiens capitulèrent. Aujourd’hui encore, tandis qu’il fanfaronne en son commerce dans le hall d’accueil, ils lui versent sa rente. Sans se priver de grommeler que Yang joue les écornifleurs, ayant brouté sur leur dos son sursis de vie, puis sa fortune. En Chinois, on appelle cela  脚踏两条船 (jiaota liang tiao chuan) : faire de deux pédalos à la fois !

 

 

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