Petit Peuple : Lijiang : le cadeau qui tue, de Zhang Chao

A  Pékin,  Zhang Chao était de nature nonchalante,  paresseuse même (ce qui est rare en Chine), et en faisait le moins possible, sans penser au lendemain. Autre rareté : quoique issue d’un foyer pauvre, elle était sans ambition, indifférente à l’avenir. Au terme d’études sans lustre conclues par un petit bac en 2005, elle avait décroché une place en école de tourisme à Lijiang, Yunnan, jungle touristique aux moeurs des moins austères.

Sous ces tropiques, elle s’amollit davantage, passant plus de temps à s’amuser qu’à étudier. Son pécule étant loin de suffire, elle bossait à mi-temps en boite de nuit,  payée aux boissons qu’elle extorquait des clients—et s’en faisait entretenir. On l’a compris : Zhang était de celles sur qui les hommes se retournent, et avait tôt appris à user de son pouvoir.  

Sur cette pente, les 1ers mois, elle crut pouvoir arrêter, et finir ses études. 18 mois après, criblée de dettes, elle sauta le pas dont on ne revient pas, acceptant de se faire ertaitai (二太太), épouse n°2 de Mu Hongzhang, 39 ans, directeur des ponts et chaussées, séparé de sa femme par le travail. Dans l’attente d’une improbable réunification familiale, il avait acquis une villa : il y installa sa « poule », lui versant chaque mois, selon son degré d’extase, des primes allant jusqu’à 30.000¥.

Aux yeux de la ville, la belle Chao vivait dans le meilleur des mondes possibles. Mais sous ses airs délurés, elle souffrait, sachant que sa place de rêve n’était que balle enrobée de sucre (糖衣炮弹, tang yi pao dan) : elle n’avait plus que 15 ans pour amasser de quoi vivre le reste de son existence, une fois que «comme à la fleur, la vieillesse aurait terni sa beauté».

Même à cette lumière, rien ne peut vraiment expliquer la férocité inouïe à laquelle elle traita son amant le soir du 19/12. A 1000  li  d’entrevoir le danger, le naïf barbon faisait étalage de richesse et l’excitait, tel le toréador, à l’éventail rouge des 3M¥ de son livret d’épargne. Pour faire la sourde oreille, dès qu’elle réclamait le code d’accès. Cette nuit-là, sans crier gare, avec l’aide de deux de ses ex– (un étudiant, un travesti), elle le séquestra dans sa villa. Ensemble, par violence, ils lui extirpèrent le mot de passe.

A ce stade, pour éviter l’irréparable, les complices étaient d’avis de le laisser filer : elle l’égorgea, dit la chronique, pour «lâcher la vapeur de sa rage». C’est alors qu’espérant prouver son innocence, un des gars saisit à la camera vidéo la scène atroce: Zhang Chao découpant le corps en 260 lambeaux, pour supprimer tout risque d’identification ultérieure…

Ne s’improvise pas assassin qui veut : elle laissait aux enquêteurs une cible facile, et se trouvait d’emblée suspecte. Elle accéléra sa capture en tirant d’un distributeur 100.000¥ en billets neufs, qui la confondirent : au 5ème jour, elle était au cachot, et en aveux!

Depuis lors, calme face au juge, elle n’a qu’une exigence: être exécutée par injection plutôt que par balle, afin d’emporter son beau visage intact dans l’éternité.

Cet acte gratuit, qui ne lui laissait aucune chance, fait mystère. Il laisse soupçonner chez cette fille futile une autre forme d’intelligence, à la fois supérieure et inaboutie. Avec la passion sauvage des jeunes à peine sortis de l’adolescence, elle signifiait son refus d’une vie d’esclave sexuelle. Elle voulait quitter cette terre sur un geste qui donne à sa vie un sens, fût-il morbide.

Son ultime demande exprime sa souffrance, et son erreur aussi : l’illusion de n’exister que par le désir des autres. Sans avoir jamais su qu’elle avait aussi une intelligence et un coeur à elle seule -contrairement à son corps, propriété des autres !

 

 

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