Au fin fond de la Chine, on trouve des peuplades venues du fond des âges, vivant dans la nostalgie d’un passé de razzias. Aujourd’hui affaiblis, relégués sur des terres ingrates, les Yi de Juemo (Sichuan) vivent de charpardages, et considèrent leur « district autonome » comme une enclave sans lois. Mais pas tous !
En mars 2000, avec ses cousins Ruhei et Aqian à demi ivres, Laqu avait tabassé 3 maîtres d’école, prétextant qu’ils étaient «Han». C’était oublier que Laobulaluo, l’aîné de Laqu, depuis 17 mois était agent au commissariat de Leshan. Et ne pas prévoir que ce jeune plein de foi en la portée morale de sa tâche, se proposerait pour descendre à Juemo arrêter les coupables !
Au village, son cadet furieux, l’accusa de pactiser avec l’ennemi. Bouleversés, les parents tentèrent de l’émouvoir par les larmes, tandis qu’un oncle plaidait leur cause : « Ruhei, Aqian, Laqu sont fautifs, mais avant tout des frères de sang ». Devant le clan, les écervelés faisaient les fiers: jamais Laobu, qui les avait toujours gâtés, n’o- oserait commettre l’impensable! Quelle ne fut leur immense sur-prise, quand ils se trouvèrent ramenés à Leshan, menottés, où ils en prirent pour 6 mois, voire 3 ans, fermes !
L’affaire fit exploser le clan, dynamitant ses liens séculaires. La branche de Ruhei et Aqian coupa tout contact avec Laobu et ses parents,sauf pour les abreuver d’insultes et de menaces, lorsqu’ils osaient sortir au marché. Au pire de la crise, un matin, les vieux cons-tatèrent que leur boeuf ne se levait plus : « on » lui avait coupé la queue et un tendon d’Achille, durant la nuit.
Puis les choses se calmèrent, la sagesse reprit ses droits. En 18 mois de taule, le cadet avait eu le temps de méditer. Rétrospectivement d’accord avec la sévérité de l’aîné, il ne deman-dait plus qu’à vivre en paix avec la loi. Même si les autres, le vice rivé au corps, poursuivaient leurs fredaines !
En octobre 2002, aidé de deux comparses, le cousin Luozi shasha racketta de 5000¥ un motocycliste, sous prétexte d’un ba-nal accrochage: là encore, Laobu (entre-temps promu commissaire) vint le coincer le lendemain et le ramena à la ville, où il reçut un stage non désiré en camp de rééducation.
L’ultime intervention «familiale» du jeune officier remonte à février : Labudali, un cousin de sa femme avait fauché un sac à main dans un bus. Pour Laobu devait l’arrêter, mais le moment faisait problème : c’était le 1er jour du Nouvel an lunaire, trêve traditionnelle. Enfin, se dit il, quand on aime, on ne compte pas : sans tergiverser davantage, il arrêta le coupable, portant ainsi à 48 le nombre de ses frangins par lui embastillés, dont 25 condamnés.
La conclusion qu’en tire le Journal du Commerce (Chengdu) peut surprendre : plus Laobu a arrêté de frères, et plus il compte d’alliés, en les personnes des condamnés eux-mêmes, à qui la prison a rendu la raison. Tel Luozi shasha, rangé, qui s’est fait élire maire de son village. Dans la réserve désormais, on n’appelle plus Laobulaluo que « protecteur public au visage noir» (hēi liǎn bāo gōng, 黑脸包公) -référence à un juge mythique de l’époque Song, passé à la postérité en raison de son intégrité inflexible.
Et, dit la chronique, notre superflic peut retourner dans la réserve passer les fêtes. Depuis que son message est passé – la famille oui, mais avant tout, la loi !
Sommaire N° 38