Dans l’analyse des leaders, le problème des 28 ministères d’avant la réforme, était l’absence de«gestion scientifique»: une structure obsolète qui leur faisait défendre leurs privilèges plutôt que l’intérêt de la nation. D’où gaspillage de ressources, corruption, immobilisme etc. Après cinq ans passés à tenter de rétablir la justice sociale, Hu Jintao ordonnait au XVII. Congrès de «préparer sans retard le nouveau cadre des super ministères», pour supprimer redondances et tours d’ivoire, et enrayer arrogance et collusion.
Il n’a fallu que six mois pour produire un «draft», présenté (11/03) au Plenum du Parlement (ANP), à entériner lors des votes de fin de session—ce sera la 8ème réforme du Conseil d’Etat depuis sa création.
Mais 6 mois, c’est court : le plan a causé une levée de boucliers et montré la faiblesse du pouvoir central, face à la puissance des «duchés» et «comtés» des provinces, lobbies de l’énergie etc. On croit y lire, au-delà de la défense des privilèges sectoriels, la contradiction entre le besoin aigu de renationaliser des pouvoirs locaux au nom de l’unité nationale (d’une nation grande comme l’Europe des 27), et l’affirmation grandissante d’identités locales … comme dans l’Europe des 27!
Sur l’institutionnel, on voit disparaître une couche d’apparatchiks entre Wen Jiabao et ses ministres-améliorant le flux des échanges entre la base et lui. Aussi, la NDRC, (National Development and Reform Commission), l’ex-tout puissant chef d’orchestre économique, perd son dernier mot sur les contrats ou licences, dont le pouvoir retourne aux provinces et mairies : promesse de plus de réactivité des administrations de base, et de crédibilité pour Pékin. Quatre organes ont été abolis et 15 déplacés.
Cinq superministères apparaissent :
[1] Le ministère de l’industrie et de l’informatisation sera maître du secteur du téléphone cellulaire, des applications dérivées de l’internet et de son contenu. Son 1er patron serait Li Yizhong, ancien pétrolier. Il retrouve le Bureau de l’Information du Conseil d’Etat (perdu des années avant) et hérite du Bureau des sciences & technologies militaires (la Costind, au gras budget), ainsi que du monopole du tabac, autre affaire lucrative. De la sorte, Pékin semble inverser 10 ans d’efforts pour séparer les industries publiques des ministères. Comme s’il s’agissait, pour une industrie du tél. déjà 1ère mondiale, de récolter des crédits nouveaux : les fumeurs étant appelés à subventionner la recherche des clones d’«Iphone» et leurs services, voire des missiles et sous-marins de l’APL (l’armée chinoise). Par contre le risque de redondance demeure : la censure du contenu reste saupoudrée entre 3 à 4 maisons.
[2] Les transports formeront un tout logique, fusionnant Communications (routières, fluviales, maritimes), et aviation civile. Mais ils voient lui échapper la forteresse des chemins de fer, puissante dans les provinces et villes: chacune étant propriétaire d’un parc ferroviaire, objecte à cette renationalisation. Gageons que cette bataille s’est tenue avant le chunjie : avant que ce transport n’immobilise des M de pauvres dans la neige, perdant ainsi la cote.
[3] ressources humaines et sécurité sociales ne seront pas de trop, pour doter tout citoyen, même fermier d’une couverture sociale légère. Avec cette fusion s’achève un des furieux combat de l’administration socialiste : pour la mainmise sur le trésor de guerre du fonds national de pension…
[4] Le ministère de l’environnement est issu de la SEPA, la valeureuse et minuscule « souris qui rugit » – mais qui jusqu’à présent, ne mord que d’une minuscule dent (quelques 100aines de cadres) les colossaux intérêts en collusion (exemple: projet de 17 barrages géants sur la Nu/Salween, par le Yunnan et Huadian, un des 5 gros électriciens nationaux). Le ministère surgit pour faire plus le poids. Mais n’est-ce pas un voeu pieux, quand on sait que ce ministère n’aura aucun pouvoir contraignant sur ses 26 homologues actuels, et n’aura même pas juridiction sur ses propres bureaux locaux -qui pourront obéir à ses directives à la carte. Elle n’aura pas non plus le contrôle de la pollution aquatique -partagé avec l’agriculture, les ressources aquatiques et l’administration des océans!
[5] Le ministère du logement et de la construction urbaine et rurale naît des ruines de la «construction», punie pour avoir été un haut lieu de corruption et du favoritisme envers les villes. Le nouvel ensemble doit assurer une priorité au logis à bas prix au village, réguler les ventes foncières selon la loi et faire respecter les normes d’hygiène (ozone, ammoniaque dans le béton) et d’isolation. C’est ici que se pose le plus nettement la question de l’utilité du plan, face à ces 10ainesde M de cadres ruraux dont la seule chance de fortune réside dans la spoliation du paysan ! Pourtant, le besoin de renforcer cette police de la nature est évident: aujourd’hui, dit Xie Zhenhua, n°2 à la NDRC, la Chine est partie pour rater l’objectif de réduction de consommation d’énergie de 20% entre 2005 et 2010 !
[6] Comme attendu l’administration de l’hygiène alimentaire et des médicaments (FDA) disparaît dans le ministère de la santé (pas un « super-ministère »): victime de ses errements, qui coûtèrent la vie à son patron Zheng Xiaoyu l’été 2007.
Par ailleurs, les ratés de la refonte sont aussi instructifs :
[7] Le ministère de l’énergie fut repoussé par ceux qui avaient le plus à y perdre, Sinopec et CNPC entre autres, les rois du pétrole. L’échec de ce projet passe mal à l’étranger où on lit une absence de volonté de politique stricte. En ersatz d’un ministère, L’Etat a dû transiger pour une Commission chargée d’élaborer la stratégie et un Bu-reau de gestion – l’un et l’autre devant coordonner les libertés de tous ces acteurs.
[8] Pas de super ministère des finances. Le plan n’annonce qu’une coordination entre Banque Centrale, NDRC et min. des finances qui reçoit (lot de consolation) le monopole du budget et de la taxation.
[9] Faux départ enfin pour le grand ministère de la culture, qui devait rassembler les tutelles de la censure, Sarft (audio-visuel) et Gapp (presse et édition) notamment. Ce recul impressionne, car Hu Jintao vise plus de guidance idéologique dans la culture, et d’autre part, écartelée dans sa mosaïque de bureaux régulateurs concurrents, la Chine a bien du mal à soutenir des initiatives d’envergure mondiale (soutenir ses instituts Confucius, l’équivalent des Alliances Françaises, ou l’émergence de groupes ou JV culturelles), ou des produits adaptés aux moyens modernes (concerts, expos, téléenseignement). Or, confrontés à la perspective d’une fusion, ces instances y ont fait obstacle, en partie par souci tactique, pour laisser dans le flou la responsabilité d’une censure impopulaire, en partie pour préserver les recettes que leur assurent le contrôle du film, du livre, de l’internet, de la TV.
Conclusion :
Le but affiché de cette réforme, « faire passer le peuple au 1er plan », au lieu de l’Etat comme depuis 50 ans, ne peut être atteint par cette réforme seule. L’esprit de service d’un ministère (ou son absence de corruption) ne peut être atteint par la course au gigantisme. La question de notre collègue A. Kroeber («Dragonomics»), «qu’est-ce que ça change ?», induit sa réponse : selon Wang Yukai, chercheur à l’Ecole Normale d’Administration chinoise, « sans progrès parallèles en réforme politique, le système des super ministères ne marchera pas » !
Sommaire N° 10