Le 29 février à Qingshui, village montagnard taiwanais, une Hong Mudan légère et court vêtue dansait devant Cai Laoren, allègre vieillard. Son 2 pièces vert-moiré, genre salamandre, mettait en valeur les déhanchements lascifs de ses jambes de sauterelle à hauts talons.
Bonne enfant, l’assistance ne se formalisait pas de l’entorse au contrat : pour toucher les 5000NT$ (106²) de son cachet, Mudan aurait dû se produire dans le simple appareil.
Elle avait ses excuses : la présence inopinée caméras de la presse taiwanaise, avait réveillé chez la courtisane un réflexe de pudeur, dont elle n’avait daigné se départir pour danser, qu’en conservant (selon son terme) « le triangle » du haut et du bas.
On le devine: la scène n’avait rien de routine. La fragrance des lys à profusion, la photo encadrée du vieillard rendait la scène un rien lunaire : Laoren était décédé, et c’est à travers les limbes, dans l’au-delà qu’étaient supposées l’aguicher les pas de Hong Mudan face à ses restes, tandis que proches et amis buvaient des verres, changeaient des blagues un peu forcées, selon les voeux de Ruigong, le fils du défunt et l’ordonnateur de la cérémonie.
La scène, il faut l’admettre, pourrait faire scabreux. Pour comprendre, il faut connaître les circonstances. Jusqu’à sa mort à l’âge canonique de 103 ans, Laoren avait été bon vivant, goulu d’une existence partagée entre un dur labeur, les devoirs et les plaisirs. Plus souvent qu’à son tour, il sortait en boite avec ses copains ou s’envolait pour la Thaïlande, se faire tirer le portrait avec de pulpeuses créatures. D’une santé de fer, ce laboureur avait élevé 6 enfants avec sa femme épousée à 16 ans, à ses côtés jusqu’au bout. Notable à Qingshui, il avait soutenu en octobre un copain candidat au poste de maire. C’est ce qui avait eu raison de sa force herculéenne : suite à une marche de 5 km sous le soleil, il s’était alité, épuisé, pour s’éteindre le 24 février, entouré des 100 membres de son clan, étirés sur 6 générations.
De tous ses fils, Ruigong son petit dernier était le préféré. A la douleur de voir partir son père, s’était greffée chez lui la honte d’une promesse non tenue : au 95ème anniversaire, il lui avait promis, pour rire, de lui amener une troupe de stripteaseuses « s’il franchissait son siècle ». Le vieux avait tenu sa part du marché, mais le fils avait oublié sa parole.
D’où cette décision du clan de porter la fête et non le deuil: la tradition le dit bien (红白喜事 hong bai xi shi) : le mariage est rouge, l’enterrement est blanc. Cette même tradition millénaire des obsèques, qui fait brûler des images de femmes, de voiture, ou d’ordinateur.
Mais au fait, à ce point de la fête, on avait un problème: que valait, pour l’aïeul, à titre de dernier plaisir, une danseuse qui gardait ses nippes ? N’y avait-il pas tromperie sur le service ? En fin de compte, on transigea : on tendit un long et haut calicot, derrière lequel Mudan poursuivit sa danse, enfin nue, selon les rites.
Suite à quoi Ruigong l’héritier, déclara à la cantonade que le patriarche s’était royalement amusé, qu’il lui ferait revenir la belle, pour une autre séance.
Sommaire N° 10