Petit Peuple : Pékin : l’ange est en enfer

Pour Confucius, s’enrichir, c’est se déshonorer. Une fois les siens nourris-logés, l’honnête homme ne devrait plus dépenser qu’à faire le bien. Mais en culture chinoise moderne, c’est le contraire : une fois enterrées les valeurs socialistes vieux-jeu, et sous l’écrasante attraction de l’American way of life, l’argent n’a plus d’odeur ! Jaillissant de l’abîme entre ces valeurs, un torrent de conflits vient déchirer ces 1,3MM d’âmes : le drame de Yu Hongfang en est un cas.

Jusqu’à 2007, cette Pékinoise de 33 ans démarchait dans les hôpitaux avec grand succès, écoulant scanners et poumons d’acier pour une classe de nouveaux riches très à cheval sur  leur petite santé. Mais plus Yu gagnait, plus lui pesait sa hon-te : les commissions alourdissaient son compte… Pour se mettre en règle avec sa conscience, depuis 2002, elle s’était mise à adopter des fils de paysans studieux mais pauvres:elle payait leurs études, 10.000 ¥/an aux lycéens, 20.000 aux étudiants. De la sorte, elle avait 9 filleuls -ils l’appelaient «Grande soeur Yu ».

Mais cette Chine bouillonnante est encore loin de maîtriser les arcanes de l’économie durable: en 2006, sous la multiplication de la concurrence et la saturation des hôpitaux, son marché médical entra dans les vaches maigres : les commandes se tarirent. Pour la démarcheuse, c’était la ruine : en découvert, pressée par ses jeunes réclamant à corps et à cris leur chèque, elle n’en dormait plus !

C’est alors qu’elle imagina le coup tordu qui causa sa ruine : prendre l’argent là où il était, chez les médecins, tous pourris, croyait-elle. « Pas de fumée sans feu », la rumeur leur prêtait la pratique du coupe-file, où les plus riches achetaient clandestinement un passage prioritaire sur le billard, laissant les pauvres attendre des mois. Sans aucune preuve, Yu était certaine de son affaire. Et puis la fin justifiait les moyens : elle se fit donc corbeau. Dans 5 hôpitaux pékinois, elle détecta sur le net une centaine de professeurs ou chirurgiens, à qui elle adressa une lettre de chantage réclamant 20.000¥ pour prix de son silence.

Yu avait négligé un détail: en Chine, pas d’hôpital sans détective! Après avoir compulsé leurs lettres, les flics privés ne tardèrent pas à faire leur jonction, pour chasser en meute. Remonter jusqu’à Yu eût été un jeu d’enfant: le coeur bourré de remords, comme pour se faire prendre, la néophyte dans l’art du corbeau avait multiplié les indices, telle cette justification de son extorsion par le désir d’ «adopter un étudiant pauvre ». Mais les limiers n’eurent pas le temps : à peine son dernier libelle posté, elle fonça aux policiers pour se dénoncer.

Une fois au cachot, ni sa bonne attitude, ni l’intercession émotionnelle de ses ouailles ne purent la tirer des griffes de la justice. Tout au plus le juge put limiter la sentence à 10 mois fermes – le minimum, qu’elle purge maintenant. Suite à quoi elle pourra oublier sa vie dorée, ses clients et son employeur pour mener – à moins que n’intervienne une main divine compatissante- une vie plus conforme à sa morale. Mais dès maintenant, Yu a l’intuition de l’horrible gâchis qu’elle a fait de son existence, par naïveté ou réflexe d’enfant gâté : à force de ruses pour rejeter la chance, elle aura tout perdu : « laissé s’échapper le poulet, et perdu les grains de riz jetés pour l’appâter »

(偷鸡不成蚀把米 tóu jī bù chéng shí bǎ mǐ).

 

 

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