A 56 ans à Chifeng (Mongolie Intérieure), Bao Xishun présente des affinités avec le vilain petit canard qui dut comme lui attendre l’état adulte, pour découvrir que son infirmité était sa splendeur. Sauf que le souci de Bao n’est pas sa petitesse, plutôt l’inverse: à 2m.36 du plancher, il est le plus grand homme du monde, foi de Guinness. Et le plus bizarre dans cette histoire: jusqu’à 2005, il n’en savait rien!
Fut-ce le vif air de Mongolie qui exacerba sa croissance? Une pincée de gènes slaves échappés de Sibérie? Ou simplement, la grande roue du destin ? « Normal » dans son enfance, Bao s’était mis à 15 ans à pousser sans que rien ne puisse arrêter sa course verticale, 2m à 19 ans, 30cm de plus quatre ans plus tard…
L’affolement de ses gènes l’embarrassait, autant que son entourage : durant l’adolescence, point de copains, de filles encore moins. Non qu’elles n’eussent voulu tâter du géant, s’il les eût laissé faire ! Mais craignant les moqueries, c’était lui qui, d’une timidité maladive, préférait la solitude des steppes, à garder les brebis et les chèvres des autres. Le bétail lui suffisait comme compagnie. Même la lenteur de sa marche transhumante lui plaisait : handicapé par sa taille, Bao ne se déplace qu’avec une canne.
Cette vie morne dura des décennies, jusqu’à ce matin de septembre 2004 où Xin Xing, patron de restaurant à Chifeng (hameau de 400.000 habitants à l’est de la province) le trouva planté là devant son échoppe, lui offrit un verre. Il venait d’avoir la fulgurante intuition que ce géant ferait sa fortune !
Dès le surlendemain, dans son costume vert criard taillé sur mesure, et son double panneau d’homme sandwich, Bao arpentait les artères de la ville pour attirer les clients -avec grand succès. Les choses dès lors s’accélérèrent : la télévision, les journaux vinrent voir. Il ne fallut qu’un an aux inspecteurs Guinness pour venir le toiser, lui re-connaître son record, assorti de ceux du plus long pied (33cm), et du plus long orteil de tous les temps (8.4 cm). Après 56 ans d’une vie de pâtre, c’était la consécration !
18 mois plus tard, il fut invité en urgence par le conservateur de l’aquarium de Fushun (Liaoning) : ayant avalé des dalles de caoutchouc du sol, autour de leur bassin, Haihai et Lele, dauphins se mouraient d’inanition – aucune pince n’existait pour délivrer les pauvres bêtes. Or à peine arrivé, sans se faire prier, comme s’il pratiquait ce hobby depuis sa tendre enfance, notre champion de foire engouffrait dans leurs gueules son bras d’1,06m, et extrayait les corps étrangers, un à un !
Célèbre, riche des cachets des télévisions et des publicités, Bao s’était installé dans un pavillon en banlieue de Pékin. Et pourtant, ce Goliath restait sombre, pour une simple raison : il restait seul, aucune femme ne s’était présentée en réponse à ses offres de mariage sur internet. C’est que ses annonces, quoique honnêtes, étaient maladroites. Là encore, Xin Xing, homme de ressource, devenu son imprésario entre-temps, fit merveille, reformulant l’offre en termes plus séduisants: il trouva 20 candidates sans peur et sans reproche, et au chunjie 2007(fête du printemps), Bao connaissait Xia Shujuan, tendron de 26 ans d’1,68m. Quoiqu’elle ne lui arrive qu’au coude, ce fut le coup de foudre. Le mariage fut expédié en 6 mois, depuis quoi, chaque matin, Bao a appris à feindre de rire à l’invariable taquinerie de sa légitime, «quel temps fait-il là-haut?»
L’histoire s’achève la semaine dernière (4/10) sur la naissance de Tianyou, leur fils aux dimensions fort humaines, 4,2kg et 56cm. Pour l’immense père, cette normalité retrouvée résonne comme une promesse du ciel : dorénavant, la malédiction du passé est terminée, celle qui lui avait fait pendant 30 ans离群索居 lí qún suǒ jū , «quitter le monde pour vivre comme un chien» !
Sommaire N° 33