Editorial : Séisme et contre-réforme…

Le pouvoir politique chinois a partiellement migré, vers Dujiangyan, l’épicentre du séisme. Peu de leaders qui ne s’y soient montrés, après le 1er ministre Wen Jiabao et le Président Hu Jintao. Les derniers grands visiteurs en date étant le ministre de la sécurité publique Zhou Yongkang et Li Changchun, patron de la propagande, venus se recueillir au berceau de la solidarité nationale, mais surtout colmater la brèche démocratique qui s’était déclarée à la suite du drame.

Li venait vérifier que les journalistes chinois étaient rappelés par leurs rédactions, et les étrangers expulsés du Sichuan. Zhou devait enrayer la vague des «rassemblements illégaux» des foules ayant perdu leurs enfants, les « convaincre » de ne pas porter plainte. Or, le 12/06, une plaque érigée trois jours avant à 8km de Beichuan, était détruite par 200 parents réclamant des comptes—certains furent arrêtés. Le lendemain, d’autres incidents étaient reportés.

Ainsi l’élan d’ouverture constaté au lendemain du séisme, est terminé. Par sa gestion vive et volontariste de la crise, le Parti communiste a fait le plein de légitimité -l’image de «Wen-Shushu» (oncle-Wen) dirigeant les secours, s’est gravée dans les esprits. Dès lors, nul besoin de changer. Au contraire, on renforce la censure: toute nouvelle sur les écoles de tofou est bannie. Le 4/06, CCTV, a même osé présenter une manif hongkongaise de commémoration de la nuit du 3 au 4 juin 1989, comme une marche de soutien aux sinistrés du Sichuan!

Ailleurs, en ultimes préparatifs aux Jeux olympiques, c’est le grand nettoyage: des barrages surgissent sur toutes les routes d’accès à Pékin en quête de Tibétains, Ouighours et migrants -démarche trahissant la hantise d’attentats. Idem, une campagne est en cours pour éradiquer les églises protestantes à domicile (voire d’autres, lamaïstes, islamistes etc). On signale un regain de tensions au Xinjiang, telle l’attaque, semaine passée, d’un poste de police à Sangong. Tension palpable aussi au Tibet : Pékin reporte les palabres prévues le 11/06, peut-être en juillet. Le ministre Yang Jiechi rappelle que le Dalai Lama devrait «cesser de fomenter la sécession» au Toit du monde. Inquiets, USA et Union Européenne craignent que Pékin ne fasse de cette accusation vague un prétexte dilatoire, et re-lancent un appel conjoint au retour au tapis vert…

Enfin, neuf maisons de TV se plaignent (29/05) d’un risque de reniement par Pékin de sa promesse de laisser émettre en direct depuis Tian An Men et la Cité Interdite: toujours pas de fréquences accordées, ni de dédouanement des camions émetteurs. Le CIO, le Comité olympique, admet que les conditions imposées par la Chine sont « impraticables ». Et ce jeu du chat et de la souris laisse dès à présent deviner que ces JO seront « à nul autre pareil » !

Ainsi, un raidissement politique est perceptible depuis le séisme, avant les JO. C’est le signe de la formidable réactivité de ce régime, saisissant l’occasion sans perdre une seconde, et déployant une énergie extrême pour mener un recadrage dont il n’aurait pu rêver deux mois plus tôt. L’enjeu est historique : en renforçant le contrôle de son opinion et sa légitimité, le Parti cherche à réussir, ici et maintenant, là où l’URSS a échoué. Et à force d’audace, d’assurer sa pérennité de régime monopartiste autoritaire – à condition de franchir d’abord la vague de la colère des parents ayant tout perdu !

 

 

 

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