Comment le désastre a-t-il débuté sur l’aire de stockage de produits dangereux de la Ruihai International Logistics Co, dans la zone de Binhai (Tianjin) ? Le 12 août, un incendie se déclara, que les casernes de pompiers voisines tentèrent de circonscrire.
Et c’est alors que tout dérapa. Les pompiers attaquèrent les flammes avec leurs lances, sans connaître l’ennemi : du cyanure de sodium qui au contact de l’eau, se recombine en acétylène inflammable et explosif. Les 700 tonnes du produit dans l’entrepôt (10 fois plus que la limite autorisée) causèrent quatre foyers, deux déflagrations d’une puissance égale à 3 tonnes, et 21 tonnes de TNT. Des flammes de dizaines de mètres s’élevèrent, visibles par satellite, qu’il fallut plusieurs jours pour maîtriser.
Les dégâts sont effroyables :
– 173 morts ou disparus (dont 88 pompiers et 9 policiers) et plus de 600 blessés ;
– 17 000 logements endommagés ;
– 10.000 voitures neuves, largement importées, Toyota, VW, Renault ou Hyundai ;
– 176 usines hors service, par destruction ou rupture de stock. Après deux semaines d’arrêt, Toyota devait reprendre la production progressivement dès le 27 août.
Les travaux de nettoyage sont lourds : l’entrepôt Ruihai contenait en outre du soufre, 800 tonnes de nitrate d’ammonium, 500 tonnes de potassium, au total 40 substances à risque…
En charge du nettoyage, le vice- maire Wang Hongjiang fait évacuer les carcasses métalliques calcinées, abattre les structures soufflées, et vérifier par des petits animaux en cage, que l’air redevient viable. Il fait aussi inspecter 275 usines et en a fait fermer 70, dont Sinochem Logistics et Binhai Logistics, les deux (seules) autres firmes habilitées au stockage de produits dangereux. Dès le 20 août, Huang Xingguo, le maire de la ville, annonce le transfert de la chimie de Binhai vers la zone de Nangang, à 25 km.
Les dommages sont évalués par la Lloyds à 2,2 milliards de $, laquelle fait alors remarquer le coût du protectionnisme en assurance : tandis qu’une petite part des dégâts (pour les biens importés par l’étranger) sera couverte par la réassurance internationale, l’essentiel du sinistre devra être supporté par les assureurs chinois – et l’Etat. Il serait peut-être temps, selon la Lloyds, d’ouvrir ce marché, pour mieux répartir les risques, dans l’intérêt de tous !
Très vite, le bureau de certification des logements a déclaré « structurellement saines », onze des douze résidences sinistrées, et cinq développeurs, chapitrés par l’Etat, acceptent de racheter les appartements de qui le voudrait. Mais à quel prix ? Décidément, les souffrances de la population riveraine, et leurs manifestations de désespoir ne font pas partie des messages autorisés dans la presse.
On note par contre un décalage instructif entre la censure des autorités locales qui minimisent l’ampleur de la catastrophe, et la colère de Pékin qui fait publier des données effarantes sur les patrons et cadres, corrompus et incompétents. Ruihai, la société de stockage, était propriété de Dong Shexuan et Yu Xuewei, respectivement fils du commissaire de police local et cousin du président du groupe.
S’étant vu refuser sa licence du fait d’une distance de seulement 560 m de zones résidentielles (au lieu des 1000 m statutaires), Ruihai avait obtenu en avril 2014, sa certification pour 6 mois d’un autre groupe, Tianjin Zhongbin Haishen. Puis d’octobre 2014 à juin 2015, Ruihai avait tourné sans licence : « c’est normal, commentait Yu en détention préventive, tout le monde fait ça ».
Quels autres responsables identifiés ?
Le maire s’est déclaré « 100% responsable », mais reste en poste pour l’instant. Chez Ruihai, 10 employés sont sous les verrous, suivis de 11 cadres de la mairie, du ministère des Transports, des douanes et de l’administration de la Sécurité au travail, qui a validé en février 2014 le rapport favorable de Zhongbin Haishen. En tête de la liste des accusés, déjà exclu du Parti, Yang Dongliang, patron de l’administration de la Sécurité au travail, est mis en examen.
Le bilan est lourd. Le monde médusé a suivi le déballage d’amateurisme et de corruption dans cette zone portuaire toute neuve (une dizaine d’années).
Pour le régime, après deux ans de campagne anti-corruption, c’est un camouflet. On peut aussi largement constater les trous dans les mailles du filet de prévention et de gestion des catastrophes. Et surtout, s’agissant d’une zone vitrine de la nation, l’accident de Binhai laisse l’impression désagréable que l’ensemble du secteur de la chimie chinoise pourrait être logé à même enseigne, ou pire.
Selon un expert, le contrôle des produits dangereux (matières premières et déchets) en zones chimiques a déjà démarré depuis deux ans, dans le cadre de la loi écologique en vigueur depuis janvier 2015. Binhai devrait donner un coup de fouet au processus, avec un effort spécial vers les provinces de l’intérieur, plus en retard. Mais pour créer les administrations, les inspecteurs, les lois mêmes pour superviser le tout, il faudra des années.
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